Nyon – Le caractère homophobe d’une agression étudié par la justice.

tribunal_nyonFaire l’impasse sur le caractère homophobe d’une attaque, «c’est comme si on oubliait la moitié de l’histoire»

Deux individus comparaissent à Nyon pour une agression à caractère homophobe, alors que le parlement planche sur une extension de la norme pénale antiraciste aux discriminations basées sur l’orientation sexuelle

Deux hommes, accusés de lésions corporelles simples et d’injures, condamnés par ordonnance pénale à des peines pécuniaires et des jours-amendes: tout ce qu’il y a de plus banal. L’affaire traitée ce lundi au Tribunal d’arrondissement de La Côte aurait pu s’arrêter là, n’était la détermination du plaignant, Julien*, 37 ans, à obtenir un procès public.

Car ce n’est pas seulement pour les coups reçus qu’il se présente ce jour devant ses agresseurs, mais pour dénoncer l’homophobie qui motivait selon lui leurs actes. «C’est clairement une agression à caractère homophobe et non une simple bagarre à la sortie d’un bar, comme le laisse croire le rapport de la police», a plaidé hier son avocat, qui réclame des peines plus lourdes à l’encontre des agresseurs et une indemnisation pour son client. L’auteur des coups, Luis*, 20 ans, reconnaît avoir frappé, mais réfute le caractère homophobe de son geste. Son acolyte Julio*, 36 ans, accusé d’avoir incité son jeune ami à frapper, nie quant à lui son rôle dans la bagarre.

Débat au parlement

Hasard du calendrier, le parlement se penche cette année sur l’extension de la norme pénale antiraciste à la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Le Conseil national a validé en mars l’initiative du socialiste valaisan Mathias Reynard allant dans ce sens. Le Conseil des Etats doit encore se prononcer. Si l’initiative était validée, les actes homophobes seraient considérés comme une atteinte à la dignité humaine, au même titre que le racisme. «Ils seraient poursuivis d’office et les peines seraient plus lourdes», estime l’avocat du plaignant, Eric Stauffacher, qui n’a pas manqué de rappeler ce contexte politique durant sa plaidoirie: «Il est inadmissible de traiter de tels actes comme un simple délit routier, banalisant ainsi le pire de ce dont l’homme est capable. Votre verdict aura valeur d’encouragement pour toutes les autres victimes qui gardent le silence», a-t-il déclaré devant la juge Anne-Claire Aepli, qui doit encore rendre sa décision.

Aujourd’hui, «sale pédé de merde» est considéré comme une insulte. C’est ce qu’aurait entendu Julien le soir de son attaque. Quelques heures avant l’audience, attablé à un café, il raconte cette nuit de juin 2013, à Nyon. Julien sort d’une boîte de nuit avec trois amies. Le groupe chemine en direction de la gare lorsque trois hommes invectivent les filles en portugais. Julien finit par s’interposer pour leur demander de partir. «Qu’est-ce que ça peut te faire, de toute façon t’es pédé», lâche Luis, le plus jeune. «Le plus âgé lui a alors ordonné de me frapper», raconte Julien. Luis lui assène un coup de poing sur la tête et des coups de pied dans le genou. Le groupe d’amis parviendra à s’extirper de la bagarre pour rejoindre l’entrée de la boîte de nuit où patrouille la police.

Durant plusieurs semaines, Julien souffre de lésions physiques. Mais le plus difficile, dit-il, ce sont les séquelles psychologiques: «J’avais des insomnies, des difficultés à me concentrer. J’ai dû consulter un psychologue pour me débarrasser du souvenir de cette soirée.»

Ce n’est pas la première fois que Julien est visé en raison de son orientation sexuelle, raconte-t-il. Il y a dix ans, un homme l’accoste dans un bar et lui demande s’il est gay. Julien acquiesce, l’individu le frappe au visage. En 2009, la famille turque de son petit ami, apprenant que les deux hommes entretiennent une relation amoureuse, le menace de s’en prendre à lui s’ils continuent à se voir. Il renoncera à des suites judiciaires. «Cette fois, j’en ai eu ras le bol», dit-il.

Procès rare

Lorsque sa plainte débouche en décembre 2014 sur des amendes pour injure et lésions corporelles, il estime que c’est trop peu. «Dans un pays où le partenariat enregistré est reconnu, je pensais qu’on reconnaissait aussi les attaques homophobes pour ce qu’elles sont. Faire l’impasse sur elles, c’est comme si on oubliait la moitié de l’histoire. Ce soir-là, mon identité a été attaquée», dit-il.

«Il est très rare que ce type d’agressions débouche sur un procès, car la plupart des personnes attaquées pour leur orientation sexuelle gardent le silence», souligne Raphaël Depallens, vice-président de Vogay, Association vaudoise des personnes concernées par l’homosexualité, venu assister hier au procès. Il cite une étude réalisée à Genève, montrant que 89% des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT) victimes d’agression ne portent pas plainte.

Source : Céline Zünd  pour Le Temps