Le « rêve d’ICCARRE » à l’étude

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Initiée par le docteur Jacques Leibowitch, l’idée d’une réduction du nombre de prises hebdomadaires d’antirétroviraux est enfin mise au banc d’essai. Sous l’égide de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales, c’est le professeur Christian Perronne – membre de l’équipe de Jacques Leibowitch (qui part à la retraite) – qui va piloter « 4D » (Acronyme pour « 4 jours » en anglais, ndlr), héritier du projet ICCARRE (Intermittents En Cycles Courts Les Anti Rétroviraux Restent Efficaces), afin évaluer cette stratégie de prise de traitements.

 

Cette piste novatrice d’ICCARRE a émergé il y a maintenant plus de dix ans. Selon le docteur Jacques Leibowitch, les médicaments anti-VIH seraient surdosés et pourraient devenir toxiques pour l’organisme sur le long-terme. Ainsi, la prise quotidienne d’antirétroviraux pourrait être superflue, voire nocive. C’est donc l’idée d’une réduction du nombre de prises hebdomadaires de traitement, sans diminuer leur efficacité. De 7 prises, on pourrait passer à 6, 5 voire 4, avec la même efficacité sur le VIH, avec quelques précautions et sous le contrôle régulier de son médecin afin d’éviter toute remontée de la charge virale. Restait à valider scientifiquement cette hypothèse par un essai thérapeutique. Ce dernier était sous couveuse depuis près de quatre ans. Pour des raisons financières, de débats méthodologiques mais aussi de personnes (le lobbying offensif du docteur Leibowitch sur son projet a parfois braqué ses interlocuteurs), le projet de recherche n’avançait guère. Cette étape obligatoire pour la reconnaissance d’une nouvelle stratégie thérapeutique se réalise enfin.

L’allégement thérapeutique, en plus de venir questionner l’idée d’une observance d’horlogerie, souvent vécue comme contraignante, fait émerger l’enjeu de la qualité de vie des personnes, c’est d’ailleurs un des axes de recherche de ce projet comme l’expliquent le professeur Christian Perronne et le docteur Pierre de Truchis dans leur interview (voir en page 15). Au long-cours, une prise de médicament non journalière paraît, pour certains scientifiques, comme tout aussi complexe à gérer. Mais l’intérêt de cet allègement réside davantage dans les bénéfices attendus à court terme (moins d’effets indésirables) et à long terme (baisse de la toxicité). Comme pour le professeur Bernard Hirschel, vivement critiqué à ses débuts concernant la validité de l’avis Suisse sur le traitement comme prévention (TasP), Jacques Leibowitch croit fermement en son idée de « juste posologie » et son impact positif pour les personnes séropositives en attendant, un jour, la guérison.

En 2010, dans la revue américaine FASEB (Journal of the federation of American Societes for experimental Biology, ndlr) il expliquait : « Aujourd’hui, la puissance des molécules antirétrovirales disponibles, le meilleur recul sur leur utilisation et la distinction de plus en plus couramment faite entre traitement d’attaque (ou d’induction), au début du traitement, quand la charge virale est élevée, et traitement d’entretien (ou de maintenance), quand la charge virale est contrôlée depuis au moins six mois, relancent l’intérêt sur des stratégies d’allègement de prises. Lesquelles sont d’autant plus d’actualité que les pistes de traitement curatif, permettant une guérison, sont encore bien lointaines. Il faudra vivre encore longtemps avec un traitement antirétroviral, ce qui ne peut que susciter l’intérêt pour des traitements allégés. » Une stratégie à propos de laquelle il faut rappeler qu’il est déconseillé de se lancer seul dans son coin, sans avis médical et qui ne concerne pas Isentress. Avec la recherche biomédicale ANRS 162 « 4D », les réponses scientifiques viendront accréditer — ou enterrer en cas d’échec — le « rêve d’Iccarre » du docteur Leibowitch.

 

 

 

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Traitement ARV : l’essai « 4D » relance la piste de l’allègement thérapeutique

L’essai ANRS 162 « 4D » sur la stratégie d’allègement de traitement anti-VIH (une trithérapie prise 4 jours consécutifs sur 7) a démarré. Le recrutement des participants, lancé cet été, est achevé. Le professeur Christian Perronne et le docteur Pierre de Truchis, co-investigateurs coordonnateurs de l’essai, expliquent dans le détail ce projet, ses objectifs et ce qu’ils en attendent. Interview par Mathieu Brancourt et Jean-François Laforgerie.

 

Vous avez présenté en janvier dernier votre essai « 4D » souhaitant évaluer le succès virologique d’une prise d’antirétroviraux en 4 jours sur 7. Qu’en est-il du recrutement et du calendrier de cette étude conjointe avec l’ANRS ?Christian Perronne

Christian Perronne et Pierre de Truchis : L’essai ANRS 162 « 4D » a finalement vu le jour cette année, il s’agit d’un essai étudiant l’efficacité et la tolérance d’un traitement de maintenance (1) par trithérapie prise 4 jours consécutifs sur 7, chaque semaine, chez des patients en succès thérapeutique (c’est-à-dire avec une charge virale indétectable depuis plus de un an sous trithérapie classique, sans mutations de résistance aux antiviraux). Il est prévu d’inclure 100 patients dans l’essai, et 17 centres français ont été retenus pour les inclusions. Les premiers centres ont été ouverts en juillet 2014, et le rythme des inclusions a été élevé, du fait de la forte demande des patients et des investigateurs.

 

A-t-on une idée de la date des premiers résultats ?

Le suivi des patients dans l’essai est d’un an, et la fin de l’essai devrait se situer à l’automne 2015, avec une analyse des résultats fin 2015 et leur communication début 2016.

 

Qu’est-ce qui a incité votre équipe à lancer cet essai et quels en sont les objectifs ?

L’idée de proposer un allègement thérapeutique à des patients en succès sous traitement est ancienne. Elle a déjà fait l’objet de nombreuses études. Plusieurs stratégies ont été testées, passage en bithérapie ou trithérapie de nucléosides, en monothérapie d’antiprotéase, combinaison simplifiée avec traitement en prise unique quotidienne, etc. Ces stratégies ont toutes montré des limites, soit en termes d’efficacité, de risque d’échappement virologique (ré-augmentation de la charge virale), soit en termes de limitation des indications possibles à des catégories restreintes de patients.

L’idée de la réduction hebdomadaire des prises d’antirétroviraux revient à Jacques Leibowitch, qui a proposé depuis une dizaine d’années cette stratégie de réduction progressive des doses à 6, puis 5 jours par semaine chez certains patients suivis en succès thérapeutique. Il apparaissait à l’époque que les essais d’interruption des ARV, et les essais de traitement intermittent avec des périodes longues d’interruption, n’étaient pas efficaces et même dangereux pour les patients qui voyaient leur charge virale remonter, avec une reprise d’une activation inflammatoire excessive du système immunitaire et un risque de sélection de résistance (2). L’idée était donc de réduire la prise des antirétroviraux pour en limiter la toxicité à long terme, et accessoirement le coût, tout en maintenant un contrôle parfait de la réplication virale, avec une charge virale toujours indétectable, pour éviter les risques d’échappement ou de résistance.

Les premières données publiées de cette cohorte de patients confirmaient la faisabilité et l’efficacité de cette stratégie, mais le nombre insuffisant de patients étudiés, leur origine monocentrique [personnes suivies sur un site hôpital, ndlr], et l’hétérogénéité des profils de patients, ne permettaient pas d’en affirmer la validité scientifique. Une étude plus large, chez des patients venant de plusieurs centres en France, avec des critères précis d’inclusion, et une analyse scientifique indépendante, était donc nécessaire pour permettre de mieux valider cette stratégie.

Après de longues discussions, il a été décidé par l’ANRS de conduire un essai exploratoire multicentrique (3), dont les objectifs principaux sont de tester l’efficacité d’un traitement allégé pris 4 jours sur 7, en maintenance après un traitement en trithérapie efficace. De nombreux autres paramètres seront étudiés chez ces personnes : efficacité virologique avec mesure de la charge virale à un seuil inférieur à 50 copies/mL, étude de la résistance éventuelle, dosages pharmacologiques des médicaments, évaluation de l’évolution du réservoir viral et de l’activation inflammatoire sous traitement, tolérance et effets indésirables, adhésion du patient à la stratégie et l’évolution de la qualité de vie.

 

Dans quelle mesure l’allégement thérapeutique est-il un enjeu important pour la santé et la qualité de vie des personnes séropositives ?Pierre de Truchis

Les trithérapies classiques sont encore associées à la survenue de troubles fonctionnels multiples, par exemple à une fatigue accrue ressentie par les patients, même si les traitements modernes sont mieux tolérés que les thérapies plus anciennes. Certaines des trithérapies sont associées à des modifications métaboliques à long terme, d’autres à une toxicité sur le rein ou le foie dans certaines populations de patients, par exemple les personnes plus âgées. L’hypothèse serait donc qu’une « juste » réduction de la posologie puisse permettre de réduire les conséquences de la prise médicamenteuse qui est encore obligatoirement longue, puisque l’éradication de l’infection VIH n’est pas encore possible. Les essais actuels de traitement de maintenance allégé devraient commencer à répondre à la question du bénéfice individuel de cette stratégie sur la tolérance globale du traitement.

Dans les études préliminaires, il apparaît que les patients donnent des retours très positifs sur le fait de « suspendre » leur traitement le week-end, ce qui leur permet de mieux choisir leur stratégie thérapeutique qui s’inscrit le mieux dans leur mode de vie. Il sera nécessaire d’évaluer précisément l’impact de cette stratégie sur la qualité de vie, ce qui sera fait dans notre étude par des questionnaires de qualité de vie standardisés. En termes de santé publique, il faudra vérifier aussi que ce type de stratégie ne représente pas un risque supplémentaire concernant la transmission du VIH, ce qui ne devrait pas être le cas puisque la réplication virale est censée rester parfaitement contrôlée. Enfin, les conséquences sur la réduction du coût global de santé devront être évaluées.

 

Le nombre important de restrictions d’éligibilité dans l’essai vient-il de la difficulté à trouver un profil type de personnes séropositives pouvant suivre un allégement thérapeutique sans risque pour leur santé ?

Il s’agit actuellement d’une étude dite « pilote », puisque nous ne disposons pas encore de données solides sur ces traitements de maintenance à posologie réduite. Aussi est-il nécessaire de s’assurer que les patients inclus ne risquent pas (ou le moins possible) d’expérimenter un échappement virologique ou une résistance virale. Il faut donc être sûr de l’efficacité totale de la trithérapie en cours. De plus, il s’agit d’un essai thérapeutique et il est nécessaire de bien connaître les déterminants cliniques et biologiques du succès ou de l’échec d’une telle stratégie chez un patient donné ; ces deux impératifs expliquent la rigueur nécessaire des critères d’inclusion dans l’essai « 4D ».

Certaines précautions supplémentaires viennent de l’expérience des études préalables. Par exemple, il n’est pas prévu d’inclure des patients sous anti-intégrase [Isentress, Stribild, Tivicay, ndlr] car quelques cas d’échappement virologique et de sélection de mutations de résistance aux anti-intégrase ont été décrits sous traitement à dose réduite, ces médicaments ayant ce qu’on appelle une « faible barrière génétique à la résistance ». En résumé, les patients candidats à ce type de traitement de maintenance allégé sont des patients en succès thérapeutique confirmé sous leur traitement précédent, sans antécédents de résistances aux antirétroviraux, ce qui représente, en théorie, la majorité des patients actuellement suivis.

 

On le voit avec la PrEP (prophylaxie pré exposition) ou le TASP (traitement comme prévention)(4) : l’observance est une condition essentielle du succès de la prévention biologique du VIH. Quelle place prend ce paramètre dans l’essai et comment sera-t-il analysé ?

La bonne prise du traitement est, et reste, un élément essentiel du succès thérapeutique, en particulier chez les patients ayant une réplication virale (charge virale détectable) et débutant une combinaison d’antirétroviraux [traitement d’attaque ou d’induction, ndlr]. Chez les patients déjà en succès thérapeutique, à condition qu’il soit effectif depuis suffisamment longtemps, le maintien de ce succès est plus facile à obtenir, et l’hypothèse que nous avons est qu’il est possible de le maintenir avec moins de médicaments. Il est cependant nécessaire que les prises demeurent régulières et que les patients sous traitement allégé ne diminuent pas trop leurs prises d’antirétroviraux, sous peine de risque de reprise de la réplication virale : aussi l’observance thérapeutique, ou plutôt l’adhésion du patient à ce nouveau schéma, doit demeurer élevée. C’est pourquoi une évaluation stricte et multiple de la prise du traitement a été prévue dans le cadre du protocole ANRS 162 « 4D »: retour des boites de médicament et comptage des comprimés pris effectué par les pharmaciens des centres, carnet d’auto-surveillance rempli quotidiennement par les personnes, et sous-étude chez une partie des patients inclus par évaluation de l’observance grâce à l’utilisation de piluliers à bouchon électronique qui permettront de retracer l’historique exact des prises de médicaments. Nous espérons grâce à ces données fournir des renseignements précis sur la faisabilité de ces stratégies. La forte demande et la forte participation des patients sollicités font espérer que nous pourrons obtenir d’ici un an des éléments plus précis et fiables pour pouvoir recommander ce type de stratégie à plus grande échelle.

 

(1) Traitement de maintenance : On parle aussi de traitement de suite lorsque le virus est indétectable depuis des mois. C’est la stratégie qui fait suite au traitement d’attaque ou d’induction. Lorsque le virus n’est pas encore contrôlé, il faut une puissance antirétrovirale importante et une observance maximale. Il s’agit de taper fort sur le virus tous les jours pour l’écraser et empêcher l’émergence de résistances. Lorsque le virus est indétectable, d’autres stratégies sont parfois possibles : monothérapie d’antiprotéase boostée, réduction de posologie ‘ex. : 400 mg de Sustiva au lieu de 600 mg), etc.

(2) Sélection de résistance : apparition de résistances aux antirétroviraux dues à des mutations successives du virus.

(3) Essai exploratoire multicentrique non randomisé : Une étude qui se déroule sur plusieurs lieux différents. Ici, les participants forment un seul groupe, il n’y a pas de groupe témoin.

(4) Traitement comme moyen de prévention. L’efficacité du traitement empêche, sous certaines conditions, la transmission.

 

 

Source : Remaides