L’Eurovision vue de Russie : Conchita Wurst, « c’est la fin de l’Europe ! »

3768988_1399783478Est-ce la fatigue provoquée par ce marathon télévisé qu’est l’Eurovision ? Ou bien l’euphorie ambiante, le strass et les paillettes, qui font oublier l’atmosphère délétère au pays ? Les commentateurs de la chaîne Rossia 1 ont accueilli avec amusement et sympathie la performance de Conchita Wurst. « Bravo, bravo ! C’est le choix de l’Europe ! Et voilà les larmes de Conchita ! », entend-on au moment où une caméra s’attarde sur le visage du vainqueur, officiellement couronné.

 

Les commentateurs s’étaient laissés aller. Ils avaient oublié le script idéologique que les télévisions russes relaient et alimentent avec une ferveur inouïe depuis plusieurs mois : l’Europe est corrompue moralement, la Russie doit se protéger de cette décadence. Le symbole absolu en est le mariage gay. Conchita vainqueur, « c’est encore un pas vers le rejet de l’identité chrétienne de la culture européenne », a expliqué dès dimanche un porte-parole de l’Eglise orthodoxe.

En septembre 2013, Vladimir Poutine résumait la position officielle : « Nous voyons combien de pays euro-atlantiques rejettent leurs racines, y compris les valeurs chrétiennes qui constituent la base de la civilisation occidentale. Ils nient les principes moraux et toutes les identités traditionnelles : nationales, culturelles, religieuses et même sexuelles. »

 

Dès la fin de la retransmission, retour en plateau. Et là, une arène, des insultes. Plusieurs personnes hurlent en même temps. Le premier est Vladimir Jirinovski, le bouffon ultranationaliste, marionnette du pouvoir depuis toujours. « C’est la fin de l’Europe ! crie-t-il. Ils n’ont plus d’hommes ou de femmes ! » Le chef du parti LDPR, vêtu d’un costume parme et d’un nœud papillon, lance encore quelques provocations, regrettant que les troupes soviétiques aient « libéré l’Autriche » et réclamant « le drapeau russe sur le Donbass », l’Est ukrainien.

Mais Vladimir Jirinovski n’était pas le seul à s’émouvoir de l’identité du vainqueur. La 7e place des sœurs Tolmatcheva, des jumelles russes à la blondeur si irréprochable que personne ne leur a tenu rigueur de chanter en anglais, ne fut pas une consolation suffisante. La géopolitique prenait le dessus sur la musique. « C’est un enterrement, un requiem pour l’Europe ! », s’emporta le présentateur, dont la gravité évoquait un soir de déroute militaire. Quelques voix plus modérées, appelant à ne pas politiser un show télévisé, ne pesèrent pas bien lourd.

 

Pourtant, dans les votes par SMS, les Russes ont placé Conchita Wurst à la troisième place. Sur les réseaux sociaux, le concours a été extrêmement commenté. La chanteuse d’opéra Anna Netrebko, en signe de solidarité avec Conchita, a publié un portrait avec une barbe dessinée. Le chanteur Philipp Kirkorov, vedette de la variété russe et membre de la délégation à l’Eurovision, a appelé à respecter le vainqueur. « Avec ou sans barbe, homme ou femme, peu importe. C’est un concours, un concours de chant. »

 

Source : lemonde.fr