Je suis russe et homo : la clé, c’est de se faire oublier, de vivre caché

Il ne fait pas bon être homosexuel en Russie. Alors que Vladimir Poutine a promulgué une loi interdisant toute « propagande homosexuelle » en juillet dernier, un nombre croissant d’agressions homophobes est observé dans le pays.

Pavel a 24 ans, il est homosexuel et vit à Moscou. Il raconte son quotidien, ses peurs, et l’espoir de voir un jour de voir les mentalités changer.

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Témoignage.

Je « sais » que je suis gay depuis mes 15 ans. Mais cela fait à peine deux ans que je m’accepte vraiment. Pendant longtemps, en parler à mes amis, à ma famille, il en était hors de question.

Avec mes parents, on évite le sujet

C’est mon frère qui l’appris le premier. Cela ne lui a pas posé de problème. Sa réaction m’a un peu apaisé, elle m’a aidé à m’accepter, à en parler à certains amis, à vivre et sortir davantage comme je l’entendais vraiment, après des années à essayer de le cacher.

Un peu plus tard, c’est mon père qui l’a appris mais involontairement. Il l’a découvert en trouvant des films porno sur mon ordinateur ! Je n’avais absolument pas prévu de me confier à mes parents, de parler de ce sujet avec eux.  Sa réaction n’a pas été violente ou hostile. Mais on ne peut pas dire non plus que ça l’a enchanté. Ce fut dur à accepter même si il n’a jamais été question de m’expulser de la maison ou de me renier. Il sait désormais ce que je suis, il sait que j’ai un petit ami, mais cela ne va pas plus loin. On n’en parle jamais, on évite carrément le sujet. Ça reste un tabou entre nous.

Ma mère, elle, a d’abord essayé de me persuader que c’était une attirance temporaire, que je rentrerai dans le « droit chemin » après. C’est un raisonnement que j’ai tenu moi aussi quand j’étais ado. J’avais un peu honte et surtout peur, alors j’essayai de me convaincre que je changerai un jour…

Je le cache à mes collègues

Je vis à Moscou. Cela fait maintenant huit ans. Il est certain qu’il est plus facile de vivre son homosexualité dans la capitale plutôt qu’à la campagne ou dans de petits villages. C’est vrai en Russie encore plus qu’ailleurs. La grande majorité des Russes voient toujours dans l’homosexualité une perversion.

Dans l’ensemble, je n’en souffre pas trop au quotidien. Car j’ai la chance d’avoir un entourage relativement compréhensif et tolérant. Dans la mesure où vous ne pouvez pas vous assumer publiquement, vous vous cachez et vous vous réfugiez dans la sphère privée. C’est pour ça qu’avoir un cercle d’amis en qui vous avez absolument confiance aide beaucoup à tenir le coup. Quand je suis avec eux, chez moi ou chez eux, je me sens libre d’être ce que je suis à 100%. En revanche, c’est une chose que je cache aujourd’hui encore à mes collègues. On ne sait jamais quelle pourrait être leur réaction…

En public, dans la rue par exemple, la donne est différente, mon comportement est différent. il est évident que je ne me sens pas libre d’exprimer vraiment ce que je suis. Il est impensable de montrer son affection pour un autre homme, ne serait-ce que d’être main dans la main. À Moscou, la plupart des gens savent qu’il y a des homosexuels. Il y a même des bars et des clubs gays. Mais les homos préfèrent se cacher et rester entre eux. Car on n’est pas à l’abri d’un mauvais regard, d’une réaction violente d’un passant ou même des autorités. La Gay Pride est ainsi régulièrement réprimée par les forces de police.

Je m’autocensure en permanence

Les agressions contre les homosexuels sont un réel problème en Russie. Heureusement, cela ne m’est jamais arrivé. Tout au plus, j’ai du être insulté une ou deux fois.

Mais on entend régulièrement des faits divers horribles à ce sujet. Si j’avais fait mon coming-out plus tôt, alors que j’étais encore au collège ou au lycée, cela se serait très mal passé, j’aurais eu à subir bien plus que des brimades de la part de certains camarades. C’est ce qui m’a fortement incité à ne rien dire et à le cacher pendant tant d’années.

Dans la rue, oui, je ressens parfois de la peur. Mais je sais aussi que si je ne montre pas « trop » que je suis gay, que je n’embrasse pas mon petit ami en public, que je ne lui prends pas la main, tout ira bien. Je sais que cette situation n’est pas normale aux yeux de personnes vivant dans des pays progressistes. Mais pour moi, c’est déjà une chance. La clé, c’est de se faire oublier, de vivre caché. Je m’autocensure.

La loi sur la propagande homosexuelle ne fait que refléter l’ignorance et le niveau d’intolérance qui existe de ce pays. C’est une loi consternante, inhumaine, et même fasciste. Même d’un point de vue purement juridique, elle est imprécise et n’a aucun sens. Dans la mesure où même avant sa promulgation je faisais très attention à ma manière d’être en public, on ne peut pas dire qu’elle ait changé ma vie pour l’instant.

Cela peut sembler étonnant mais je reste malgré tout optimiste. J’espère qu’un jour les autorités feront machine arrière et s’excuseront pour tout ça. Les mentalités changeront forcement un jour. La question est quand. Cela prendra du temps, je dirais au moins 20 ans…

Propos recueillis et traduits par Sébastien Billard (Le plus du Nouvel Obs)