Un homosexuel camerounais implore l’aide de la Suisse

L’Office fédéral des migrations a refusé un visa humanitaire à un jeune gay. Son avocat, Philippe Currat, déclare qu’il est menacé de mort.

«Faut-il laisser crever aux portes closes de notre ambassade à Yaoundé un jeune homme de 23 ans qui implore la protection de la Suisse? Certes, vous pourriez aisément vous en laver les mains, sa famille ne vous le reprochera pas. Cependant, vous vous étiez engagée à ce que la possibilité d’obtenir des visas humanitaires, après la fin des demandes d’asile dans nos ambassades, soit une réalité.» L’avocat genevois Philippe Currat n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Dans une lettre ouverte à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga datée du 17 juillet, il implore son aide à propos d’un Camerounais homosexuel de 23 ans qui s’est vu refuser un visa humanitaire par l’Office fédéral des migrations (ODM). La missive intervient alors que l’assassinat de l’activiste gay Eric Ohana Lembembe, lundi à Yaoundé, provoque de vives réactions. Il venait de dénoncer une nouvelle vague de répression anti-homosexuels au Cameroun sur son blog. Réprimée dans de nombreux pays africains, l’homosexualité est passible de mort au Soudan et dans les Etats du nord du Nigeria.

Le jeune homme représenté par Philippe Currat a œuvré dans le domaine de la prévention contre le VIH à Yaoundé. Le 19 décembre 2012, il dépose une demande de visa humanitaire auprès de l’ambassade de Suisse et essuie un refus. Il fait recours. La procédure est actuellement pendante devant le Tribunal administratif fédéral. «Il est menacé de mort par sa famille et a été à plusieurs reprises victime de bastonnades», insiste l’avocat.

Philippe Currat juge le refus de l’ODM «incompatible avec un Etat de droit», car le motif essentiel porte sur l’absence de garantie du retour au pays à la fin du séjour autorisé en Suisse. «Or, selon les directives de l’ODM, ce motif ne s’applique pas aux cas de visas humanitaires», dit-il. Le mandant n’aurait par ailleurs pas été entendu personnellement.

Voilà pour la forme. Sur le fond, précise l’avocat, l’ODM relève que ce n’est pas l’homosexualité qui est passible de poursuites judiciaires au Cameroun, mais une activité sexuelle avérée entre personnes du même sexe. «Cette subtile distinction n’est rien d’autre que l’expression d’une méconnaissance crasse de la réalité du terrain, qui confine à l’arbitraire, et d’une franche homophobie, qui constitue une discrimination contraire à notre Constitution», écrit-il à la ministre socialiste.

Cette affaire met en exergue deux problématiques. Pour ce qui est de l’homosexualité, la Suisse n’a que rarement accordé l’asile à des personnes en raison de persécutions subies liées à leur orientation sexuelle. Mais elle l’a déjà fait. «Chaque demande déposée a fait l’objet d’un examen minutieux et a été appréciée en fonction de l’existence ou non d’une persécution personnelle et ciblée sur la personne», précise la porte-parole de l’ODM, Céline Kohlprath, sans se prononcer sur le cas précis. «En d’autres termes, il ne suffit pas d’appartenir à ce «groupe social déterminé» pour être reconnu comme réfugié.» Le dossier pose aussi la question de l’attribution des visas humanitaires. Depuis la suppression, fin septembre, des demandes d’asile dans les ambassades, la Suisse n’en a accordé que douze. Ces visas sont censés permettre aux personnes qui les obtiennent de déposer ensuite une demande d’asile en Suisse. L’ODM rappelle que seules les personnes «exposées à un danger imminent» peuvent obtenir un tel visa. Ce chiffre, très bas, démontre bien qu’il devient désormais presque impossible d’espérer obtenir une protection de la Suisse depuis l’étranger. Que l’on soit homosexuel ou pas.

Source : Le Temps (Abonnés)