L’homosexualité, toujours un sujet tabou en Suisse ?

«Cinq ans après l’entrée en vigueur du partenariat enregistré, les homosexuels doivent toujours faire face à un sentiment de pitié et à la dénégation des problèmes qu’ils rencontrent » », constate Alicia Parel, secrétaire générale de Pink Cross, l’association suisse des gays

Dans le pays où l’homosexualité sous les drapeaux était illégale jusqu’en 1992, les couples de même sexe ne sont pas encore traités sur un pied d’égalité vis à vis des couples hétérosexuels.
«En Suisse, ce n’est pas encore logique de reconnaître pleinement les couples de même sexe. Je reçois régulièrement des mails mentionnant des discriminations à l’embauche, à l’emploi ou encore lors de la recherche d’un appartement», souligne Alicia Parel
«En Suisse, spécialement dans les campagnes, nous avons encore une image traditionnelle de la famille», remarque Barbara Lanthemann, secrétaire romande de Pink Cross, qui prendra en janvier le poste de secrétaire générale de l’Organisation suisse des lesbiennes.

En Suisse, l’avancée des droits se fait à pas comptés ;
Ainsi, si la Suisse a commencé le processus de reconnaissance du partenariat en même temps que l’Espagne ou la Belgique, vers le milieu des années 90, elle n’a pas obtenu les mêmes résultats, comme le remarque Marta Roca Escoda, maître d’enseignement et de recherches au Centre en Etudes Genre, à l’Université de Lausanne.
En Espagne, comme en Belgique, le mariage, l’adoption et la procréation médicalement assistée pour les couples de même sexe, sont légaux. «En Suisse, cela va encore prendre du temps, le système politique implique de poser les choses de manière plus consensuelle.
Même les associations gaies ont préféré être prudentes et ne pas revendiquer d’emblée le droit au mariage. Elles ont fait profil bas pour espérer gagner quelques droits», relève Marta Roca Escoda. Les associations ont gagné le partenariat enregistré qui «avec une loi d’exception pour une population spéciale, respecte une logique d’apartheid», selon Alicia Parel.
D’ailleurs, d’après la secrétaire générale, seulement 2000 à 3000 couples de même sexe, sur les quelque 800’000 que compte la Suisse, optent pour le partenariat. «Des couples qui, selon les statistiques sont beaucoup plus stables que les unions hétérosexuelles», mais représentent une faible proportion des couples homosexuels. «En général c’est une décision mûrement réfléchie, pour les couples homosexuels, les questions se posent sous un autre angle . Ces couples par exemple ne sont pas appelés à devenir parents», note Alicia Parel.

L’adoption, ce mot encore tabou
Du moins, par pour l’instant, car l’adoption n’est pas encore à l’ordre du jour. Quant à la procréation médicalement assistée la question ne se pose même pas. Sans compter que certains couples de même sexe n’osent simplement pas conscientiser le désir d’enfants.
«Cela demande déjà tellement d’efforts pour ces couples de s’accepter eux-mêmes et d’être reconnus à leur juste valeur qu’il y a de nombreuses difficultés à surmonter avant de penser aux enfants», remarque la secrétaire générale de Pink Cross. Et d’ajouter «nous faisons face en Suisse à un gros problème de mentalité, spécifiquement par rapport aux hommes en demande de paternité. Lorsque nous parlons d’un couple d’hommes désirant adopter, le spectre de la pédophilie surgit.»
Et si le Parlement, après avoir plusieurs fois reporté le débat, va se pencher sur le thème de l’adoption lors de sa session d’hiver, il s’intéressera uniquement à la reconnaissance des familles de même sexe. Et non pas à l’adoption plénière pour les couples homosexuels.
C’est à dire que si le principe de l’adoption est accepté il concernera les couples de même sexe qui s’occupent déjà d’un enfant, fruit par exemple d’une union avec un ancien conjoint, d’«un accord» passé avec un autre couple homosexuel ou d’une procréation médicalement assistée effectuée en Belgique ou en Espagne, remarque Marta Roca Escoda.
«Ceci permettrait de reconnaître la réalité de ces familles et de protéger l’enfant légalement, par exemple si un des deux partenaires décède. Il s’agit donc plus d’un débat sur la protection des enfants que sur l’égalité des couples de même sexe», conclut la chercheuse lausannoise.

Source : Le Matin