Lettre ouverte à l’Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes (AMQG)

Genève, le 7 octobre 2021

Nous, en tant que personnes trans*, mineures ou majeures, 

Nous, en tant que personnes alliées,

Nous, les associations 360, Asile LGBTIQ+, Dialogai, ÉPICÈNE, HUG A Rainbow, Lestime et Think Out,

Par cette lettre ouverte, nous tenons à prendre position au sujet des informations, en grande partie contraire au consensus scientifique, que l’Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes (AMQG) propage ce dernier temps par différents canaux. Composée de parents d’enfants trans*, auxquel·le·x·s l’association ne donne par ailleurs pas la parole, l’AMQG est partie en bataille contre le respect des besoins et des droits des mineur·e·x·s (mais également des majeur·e·x·s trans*), contre leur capacité de discernement, contre leur autodétermination ainsi que contre les professionnel·le·x·s de la santé et du social qui les soutiennent et les accompagnent. Sous des dénominations trompeuses, l’AMQG vise en outre en réalité à nier l’existence des jeune·x·s trans*, leurs besoins et leur capacité à déterminer qui ils, elles et iels sont. 

Rappelons que pour chaque personne trans*, y compris pour les jeune·x·s trans* de moins de 18 ans, toute transition est le fruit d’une longue introspection. Toute transition, qu’elle soit sociale, médicale ou juridique, relève du parcours du combattant en Suisse : les obstacles sont encore bien trop nombreux. Pour les jeune·x·s trans* en particulier, pouvoir se faire appeler par le prénom choisi et le genre vécu, pouvoir être soi-même à l’école, dans leur famille ou en-dehors, pouvoir accéder, si cela est souhaité, à un processus d’hormonothérapies ou à des opérations chirurgicales et pouvoir, éventuellement, changer de genre à l’état civil, relèvent d’un processus de survie. Le respect de l’auto-détermination de ces jeune·x·s et de leur capacité de discernement, et notamment pour l’accès à l’hormonothérapie ou à des opérations, est donc primordial lorsqu’ils, elles ou iels en font la requête. Ce respect des droits des jeune·x·s trans* et de leur auto-détermination, de leur capacité de discernement et de leur intérêt supérieur trouve son ancrage dans le droit suisse[1], ainsi que les textes internationaux[2]

Les personnes trans* ont en effet jusqu’à 10 fois plus de risque de faire une tentative de suicide, en raison de la transphobie, des discriminations, des obstacles rencontrés pour effectuer leur transition et pour pouvoir être soi-même. 57% des personnes ayant fait une tentative de suicide ont indiqué que l’une des principales raisons est le rejet et l’exclusion par les parents et la famille proche. Le taux des jeune·x·s trans* faisant une tentative de suicide après avoir subi de la transphobie en milieu scolaire monte à 50% pour ceux qui subissent du harcèlement, 63% pour ceux qui ont subi des agressions physiques, et à 73% pour ceux qui ont subi des agressions sexuelles[3]. Les conduites à risques et les pensées noires avec tentatives de suicide baissent de 93% lorsque les parents soutiennent leur enfant dans sa démarche[4]. De même, l’accès à des traitements médicaux sont associés à une amélioration de la santé mentale chez les personnes trans[5].

L’AMQG vise également à ralentir, voire empêcher, une prise en charge médicale éclairée et scientifiquement reconnue des jeune·x·s trans*, en mettant en avant des recherches qui ne sont pas validées scientifiquement ou qui ont été menées dans un contexte discutable, ainsi qu’à dissuader les professionnel·le·x·s de la santé de soutenir et d’accompagner des jeune·x·s trans*. Pourtant, les professionnel·le·x·s de la santé qui accompagnent les jeunes trans* suivent les recommandations émises dans les standards de soin de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH), forte de près de 40 ans de recherche, que l’AMQG cherche à dénigrer. La WPATH est composée de 3’000 professionnel·le·x·s de la santé scientifiquement reconnu·e·x·s par leurs pair·e·x·s et de renommée mondiale[6] et qui émettent les standards de soin en se basant sur 40 ans de recherches et à partir de leur expertise scientifique. Malgré tout cela, depuis plusieurs mois, l’AMQG tente de dissuader les professionnel·le·x·s de la santé qui accompagnent les mineur·e·x·s trans*, par des procédures administratives et par une campagne de désinformation[7].  

Par ses actions, l’AMQG discrédite des années de travail et prétend de manière insidieuse que les profesionnel·le·x·s de la santé ainsi que les associations qui les soutiennent, procéderaient à des transitions médicales de manière contraire au droit et en faisant fi de toutes les précautions que cela nécessite. Or, les professionnel·le·x·s de la santé, que nous soutenons pleinement[8], ne forcent aucunement les jeune·x·s mineur·e·x·s trans* à s’engager sur le chemin d’une transition médicale, sociale et/ou juridique. Face à tout acte médical, les praticien·ne·x·s doivent déterminer si la personne est capable de discernement. La capacité de discernement d’un·e·x patient·e·x mineur·e·x, condition indispensable pour que celui·celle-ci puisse consentir seul·e·x à un traitement, doit être appréciée dans chaque cas, au regard de la nature des problèmes que pose l’intervention (ATF 134 II 235, consid. 4.3.2.).  Le Tribunal fédéral a d’ores et déjà eu l’occasion de reconnaître qu’une enfant de 13 ans pouvait avoir une telle capacité (ATF 134 II 235), sans pour autant définir un seuil[9].  

Les professionnel·le·x·s de la santé sont ainsi dans l’obligation d’observer cette règle même dans le cadre d’une posture transaffirmative. Recommandée par l’OMS[10], l’approche transaffirmative est une approche globale et systémique, dont la “transition médicale n’est qu’un des aspects et une forme possible de transition”[11]. Selon l’American psychological association, l’approche transaffirmative se définit comme “Être conscient des besoins des personnes transgenres et non-conformes au genre, les respecter et les soutenir”[12], approche également utilisée au sein de nos associations. 

Nous tenons à souligner qu’il est évident que l’adhésion des parents des jeune·x·s concerné·e·x·s nous semble importante. Nous rappelons toutefois que lorsque cette adhésion n’est pas possible et qu’elle se change en maltraitance, l’intérêt supérieur et le bien-être des jeune·x·s concerné·e·x·s sont toujours primordiaux.

Quant au processus de « détransition » les constats réalisés sur le terrain au sein de nos associations à Genève, ainsi que dans la pratique internationale, montrent que les renoncements à une transition après l’âge de 12 ans sont nuls. L’annonce de transition ne s’agit en aucun cas d’une déclaration faite de manière inconsidérée, mais bien un processus de réflexion longuement mûri. Aucun renoncement ni retour en arrière n’a été constaté parmi les plus de 400 jeunes fréquentant le Refuge Genève depuis 6 ans. Les études internationales montrent également que les renoncements sont quasi nuls[13]. L’on peut également se questionner sur le contexte des « détransitions » souvent citées, notamment en termes de pressions familiale, scolaire, de thérapies dites de conversion ou encore de pression sociétale pour « revenir en arrière ». En ce qui concerne l’âge de 12 ans précité, il est mis en valeur par les études car il symbolise l’entrée dans la puberté, le moment où le ressenti se stabilise. En réalité, cela se situe plutôt entre 9 et 12 ans car l’entrée dans la puberté est variable d’une personne à l’autre et les études considèrent la puberté neurologique et pas seulement corporelle.

Nous nous questionnons enfin également sur le fait qu’une des membres fondatrices de l’AMQG est également gérante de plusieurs lieux LGBTIQ-friendly à Genève : ces lieux sont-ils des lieux où les personnes trans* et non-binaires, et en particulier pour les jeune·x·s trans* et non-binaires peuvent se sentir accepté·e·x·s et en sécurité ?

Nous invitons l’AMQG à ne pas déformer la réalité ni les recherches scientifiques, à écouter les expert·e·x·s formé·e·x·s sur ces questions et surtout la parole des personnes concernées au lieu de parler à leur place. Nous demandons aux professionnel·le·x·s de la santé de s’informer sur les bonnes pratiques en matière de suivi et de soutien des jeunes trans* en se basant sur les standards de soins du WPATH et sur la capacité de discernement et l’autodétermination des jeune·x·s concerné·e·x·s. 

Notre plein soutien va aux jeune·x·s concerné·e·x·s ainsi qu’à leurs parents et aux professionnel·le·x·s de la santé qui les suivent, les entourent et les soutiennent en écoutant leurs besoins et en respectant leur autodétermination.

Les associations signataires : Association 360, Asile LGBTIQ+, Dialogai, ÉPICÈNE, Fédération genevoise des associations LGBT, HUG A Rainbow, Lestime, Think Out.

Vous pouvez également télécharger la lettre au format paf ici.


[1] Le droit fondamental de choisir une intervention sur son propre corps découle de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst). 

[2] La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant rappelle, dans le paragraphe 72 lit. g de l’Observation Générale n°13 du Comité sur la Violence à l’égard des enfants de 2011, que les États doivent protéger «les enfants potentiellement vulnérables. Les groupes d’enfants susceptibles d’être exposés à la violence sont, notamment mais pas exclusivement, (…), les enfants homosexuels, transgenres ou transsexuels.» La Convention relative aux droits de l’enfant, entrée en vigueur en Suisse le 26 mars 1997, garantit à l’enfant capable de discernement le droit de s’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant (art. 12 CDE). Quant aux Principes de Jogjakarta Plus 10, sur l’application du droit international des droits de l’homme en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre et en particulier le Principe 32, « Le droit à l’intégrité corporelle et mentale », rappellent que les États doivent :

Garantir et protéger les droits de chacun, y compris des enfants, à l’intégrité corporelle et mentale, à l’autonomie et à se déterminer soi-même ;

E.   Veiller à ce que le concept d’« intérêt supérieur de l’enfant » ne soit pas manipulé pour justifier des pratiques entrant en conflit avec son droit à l’intégrité corporelle.

[3] Suicide Attempts among Transgender and Gender Non-Conforming Adults, janvier 2014, UCLA School of Law et American Foundation for Suicide Prevention. The health and well-being of transgender high school students: results from the New Zealand adolescent health survey(Youth’12), “J Adolesc Health”, Clark et coll., 2014 Jul;55(1):93-9.      Time trends and disparities in anxiety among adolescents, Parodi et coll, 2012-2018. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol, 2021.  

[4] The experience of parents who support their children’s gender variance, « Journal of LGBT youth», Annie-Pullen Sansfaçon, 2015.

[5] Adolescents transgenres et non ­binaires : approche et prise en charge par les médecins de premier recours, Wahlen, R., Brockmann, C., Soroken, C., Bertholet, L., Yaron, M., Zufferey, A., Ambresin, A., Merglen, A. (2020), Rev Med Suisse 2020; volume 6. no. 691, 789 – 793 et réf. 

[6] Standards de Soins pour la santé des personnes transsexuelles, transgenres et de genre non-conforme, WPATH, 2012 : SOC V7_French.pdf (wpath.org)

[7] « Deux médecins sous enquête pour avoir prescrits des hormones à des ados transgenres », Le Matin dimanche, publié le 31 juillet 2021. Voir également le jugement récent en Angleterre, qui donne raison aux professionnel·le·x·s de la santé ayant suivi un jeune trans* : https://www.letemps.ch/monde/medecins-britanniques-seuls-juges-consentement-eclaire-adolescents-transgenres

[8] Lire également : Communiqué de presse (federationlgbt-geneve.ch)

[9] Voir également : https://www.letemps.ch/monde/medecins-britanniques-seuls-juges-consentement-eclaire-adolescents-transgenres

[10] World Health Organization. WHO/Europe brief – transgender health in the context of ICD-11, 2019. Disponible sur : www.euro.who.int/en/health-topics/health-determinants/gender/gender-definitions/whoeurope-brieftransgender-health-in-the-context-of-icd-11

[11] Introduction:pour une approche transaffirmative, in Jeunes et non binaires de l’accompagnement à l’affirmation, Pullen Sansfaçon A., Medico D.,  les éditions du remue-ménage, 2021     

[12] Traduction libre de “Being aware of, respectful and supportive of the needs of transgender and gender-nonconforming individuals”, consulté sur le site web: https://www.apa.org/monitor/2018/09/ce-corner-glossary

[13] Factors associated with desistance and persistence of childhood gender disyphoria: a quantitative follow- up, 2013, J Am Acad Child Adolesc Psychiatry.