Les droits LGBT s’invitent au Forum Economique Mondial – entretien avec le directeur de Human Rights Watch, Kenneth Roth

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Human Rights Watch est une organisation qui opère dans 90 pays pour reporter les abus des gouvernements. Kenneth Roth a commencé sa carrière comme avocat et a rejoint HRW en 1987 dont il a été le directeur dès 1993. Il y a 10 ans, il a supervisé la création du programme pour les droits des LGBT. Il revient dans cette interview sur l’évolution de ces droits depuis cette époque.

Plus de 2,8 milliards de personnes vivent dans des pays où être identifié comme gay peut conduire à l’emprisonnement, des châtiments corporels, ou même la mort. En comparaison, seulement 780 millions de personnes vivent dans des pays qui ont rendu légal le mariage ou l’union civile entre personne de même sexe.

Ces chiffres, rendu public par l’ILGA en mai 2014 montrent qu’il y a encore beaucoup à faire pour que les droits LGBT soient universellement reconnu. Néanmoins, il faut aussi reconnaitre que de véritables progrès ont eu lieu au cours des 10 dernières années.

 

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Kenneth Roth, Directeur de Human Rights Watch

Quels progrès y a-t-il eu depuis que vous avez établit le programme pour les droits LGBT à HRW ?

Il y a eu des progrès énorme autant au niveau global que local. Il faut retenir que le combat pour les droits LGBT n’est pas un phénomène occidental ; beaucoup des gouvernements à la pointe défense des droits LGBT se trouvent au sein des pays émergeants. La résolution historique du Conseil des Nations Unies pour les Droits de l’Homme en septembre 2014 a été adoptée grâce aux gouvernements de pays du Sud, notamment ceux d’Amérique Latine, appuyés par d’autre pays du monde comme l’Afrique du Sud. Des pays qui s’opposent à l’application des Droits de l’Homme comme Cuba, le Venezuela ou le Vietnam l’ont soutenu.

 

Comment les droits LGBT diffèrent à travers le monde ?

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Cependant, en raison de ce soutien global, on a assisté récemment à un contre coup. Il est dû en grande partie à la plus grande visibilité de la communauté LGBT dans les pays o ?u leurs droits on commencés à être reconnu. Les LGBT sont aussi un bouc émissaire idéal pour les leaders dans la tourmente qui essaie d’obtenir le soutien des secteurs les plus conservateurs de leur société. Que ce soit en Ouganda, au Nigeria ou en Russie, stigmatiser la communauté LGBT est un indice de corruption à large échelle ou d’autoritarisme.

Le statut des LGBT est un bon indicateur des droits de l’homme dans une société en générale, précisément car c’est une communauté vulnérable. Là où les droits des LGBT ne sont pas reconnus, vous pouvez être sûr que les droits des autres minorités et des principaux membres de la société civile seront bientôt menacés. 

 

Au regard de la décennie écoulée, quel est selon vous le vecteur principal de l’évolution des mentalités et de l’état d’esprit des gens ?

Des changements plus larges ont eu des répercussions sur les droits LGBT : des relations plus équilibrés entre les sexes, l’affirmation des droits en général, ainsi qu’un plus grand respect pour l’autonomie des individus. Dans un tel contexte, la population LGBT se manifeste plus facilement et la population découvre soudainement qu’elle a un frère, un fils ou un voisin qui est homosexuel. Cela modifie les perceptions et entraine des changements sociaux.

L’obscurantisme triomphe là où il y a de l’ignorance. Mais, dès que l’on parle d’un proche, vous commencez à penser : « Peut-être que les LGBT sont juste des personnes comme les autres et je devrais leur reconnaitre les mêmes droits. Pourquoi ne pourraient-ils pas aimer qui ils veulent comme j’en ai moi-même le droit ? »La peur rampante de l’autre se retrouve dans d’autres tendance qui refont surface comme le nationalisme ou un sentiment anti immigrant.

 

A contrario, rendre la communauté LGBT moins visible et donc moins racontable, permet à des dirigeants peu scrupuleux d’en tirer des avantages politiques…

Tout à fait. En Ouganda par exemple, la communauté LGBT est stigmatisée dans un contexte artificiel. Elle serait un apport de l’étranger sans lien avec la culture traditionnelle. C’est d’une grande ironie comme l’essentiel de cette homophobie est le résultat d’un mouvement riche mouvement évangélique américain, et la prohibition s’inscrit dans la continuité de l’époque coloniale britannique. De plus ce n’est pas comme si l’occident parachutait des gays dans les autres cultures ; une population homosexuelle existait déjà dans ces société ; ils sont simplement plus ou moins visibles selon les politiques et les mentalités du moment.

 

Etant donné ce contrecoup, qui doit être visé pour le combattre ?

En premier lieu, les dirigeants qui se servent des LGBT comme bouc émissaire. En réponse au contexte homophobe autour des Jeux Olympiques de Sotchi, le Comité International Olympique a récemment annoncé de  nouvelles règles pour la sélection des villes hôtes en exigeant des mesures antidiscriminatoire. Cela implique que si la Russie avait favorisé ce contexte homophobe au moment de la sélection, Sotchi n’aurait pas été sélectionnée. C’est un signal très important.

Dans le même temps, il faut une meilleure coordination des efforts dans l’éducation. Tout ce qui peut augmenter la visibilité des LGBT, pour dépasser les stéréotypes du passé et l’ignorance, pour montrer que les LGBT occupent la même place dans la société que les autres personnes, doit être encouragé pour faire bouger la société plus rapidement.

 

Les jeunes sont au cœur du changement de la société, à quelle pression doivent-ils faire face ?

En général, la nouvelle génération fait preuve de plus de tolérance que ses ainés. Je vois une dynamique positive à ce que les jeunes grandissent dans un environnement où il y a des variations par rapport à la norme sexuelle dominante. Mais cette génération est aussi déchirée. De nombreux dirigeants promeuvent l’homophobie en insistant sur le fait qu’ils ne sont pas anti-gay, mais qu’ils cherchent à protéger une jeunesse influençable. Ils se rendent compte que la tendance est favorable aux LGBT et ils veulent la combattre par l’intermédiaire de la protection de la jeunesse.

 

Quels rôles jouent les acteurs non gouvernementaux tels que le monde de l’entreprise ?

L’entreprise a un rôle très important à jouer dans ce domaine. Une part significative des consommateurs insistent sur le respect des droits LGBT. Les géants de l’industrie ne peuvent donc pas se permettre de laisser subsister des discriminations sur les lieux de travail ou soutenir ouvertement l’homophobie. Leur rôle est important car ces sociétés agissent à un niveau global et deviennent ainsi des oasis pour les droits LGBT même dans les pays où le gouvernement n’est pas pro LGBT.

Là où l’entreprise n’atteint pas nos attentes, c’est dans le rôle de modèle. Lord Browne regrette de ne pas avoir été plus ouvert sur son homosexualité lorsqu’il était directeur de BP. Il est triste que de nombreux chef d’entreprise dissimulent leur homosexualité. Plus les grandes entreprises souligneront la présence de LGBT à leur tête, plus les transformations sociales seront encouragées. Ceci dit, au vue du nombre de leaders politiques ou économiques qui font leur coming-out aujourd’hui comparé à la situation il y a dix ans, il y a un progrès significatif.

Couple du même sexe pouvant adopter.

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Pensez-vous que la communauté internationale soit un bon promoteur des droits LGBT ?

Des actions positives voient le jour à différents niveaux (local, national ou mondial). Ce qui s’est passé aux Nations Unies est important pour la légitimation des droits LGBT. Un vote aussi positif est important pour repousser les gouvernements qui prétendent que l’homophobie est compatible avec les règles internationales des Droits de l’Homme.

Une autre chose que la communauté internationale peut faire  est de collecter des informations sur le traitement des LGBT pour prouver que des gouvernements n’assurent pas leur respect. Le plus important est d’assurer la protection de l’espace politique dans lequel les activistes LGBT agissent.

Des organisations comme le Forum Economique Mondial peuvent clairement jouer un rôle de leader dans ce débat en organisant des rencontres dressant un état des lieux des droits LGBT.

 

Au cours des 10 dernières années, à quels challenges les groupements pour les droits civiques ont-ils été confrontés ?

Il y a 10 ans, nous avons créé un programme pour les droits LGBT au sein de HRW pour montrer qu’ils sont indissociables des droits humains. Notre première véritable intervention a eu lieu en Egypte où il y avait eu une décente de police dans un établissement gay au cours de laquelle les clients ont été arrêtés et brutalisés.

HRW a protesté, mais peu de nos collègue égyptien nous ont suivi, objectant que l’homosexualité est une conduite immorale et que la répression des gay n’est pas une question de droits de l’homme. Ils craignaient qu’ils soient discrédités s’ils intégraient les droits LGBT dans les droits de l’homme. De tels arguments ne s’entendent plus aujourd’hui.

Pourcentage des grandes entreprises qui… 

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Historiquement, il y a souvent eu des tensions entre les mouvements religieux et la communauté LGBT. Pensez-vous que cela va continuer ou les religions peuvent adopter un rôle plus positif ?

Je ne vois pas les religions comme une force obligatoirement négative. Je pense qu’une gouvernance éclairée peut voir le jour au sein de chaque tradition religieuse. Aucune tradition n’est statique, elles évoluent et se réinterprètent sans cesse. Ce qui laisse de la place pour respecter quelque chose d’aussi fondamentale que l’orientation sexuelle de chacun.

Regardez ce qui se passe au sein du Christianisme. Du côté négatif, vous avez une aile conservatrice et globalement homophobe représentée par le mouvement évangélique. De l’autre côté, vous avez l’Eglise Catholique qui a pris position contre la violence et les discriminations à l’encontre de la communauté LGBT. Le Pape François va encore plus loin en développant l’acceptation tant d’un point de vue doctrinal que dans son attitude et ses déclarations personnelles. Il témoigne de ce qu’un leader éclairé peut faire même au sein d’une tradition conservatrice.

 

Quel est votre principal espoir et votre principale inquiétude au sujet des droits LGBT ?

Le contre coup que nous vivons actuellement est ma préoccupation principale. L’homophobie est une forme d’obscurantisme inacceptable… mais j’ai bon espoir que cela change !

 

 

Source : World Economic Forum