PrEP – la panacée?

Il y a plusieurs manières de se protéger d’une infection par le VIH. La plus avantageuse consiste à utiliser des préservatifs, la dernière en date se nomme PrEP (prophylaxie pré-exposition). La PrEP est un traitement pour des personnes qui, à un moment donné de leur vie, sont exposées à un risque de VIH élevé. Toute PrEP est précédée d’un entretien avec un médecin dans le but de mettre les choses au clair. C’est au consommateur de payer le médicament de sa poche. Interview de la Dr Emmanuelle Boffi El Amari, médecin responsable du Checkpoint Genève

Quels sont les moyens de prévention contre le VIH, à l’heure actuelle?

Boffi El Amari: En l’absence de vaccin efficace pour éviter l’infection par le virus VIH, les moyens de prévention comprennent les éléments suivants: l’utilisation du préservatif, le traitement à un stade précoce de l’infection, afin d’obtenir une charge virale (quantité de virus circulant dans le sang) indétectable. Effectivement les personnes séropositives, dont le traitement est efficace (c’est-à-dire que leur charge virale est en-dessous du seuil de détection, dans le sang, depuis plus de six mois) ne transmettent pas le VIH[i]. Pour les hommes, la circoncision a également été proposée, mais reste nettement moins efficace. Enfin, il y a la prophylaxie post-exposition, en d’autres termes la PEP. Depuis peu vient s’ajouter à cet arsenal la PrEP, c’est-à-dire la prophylaxie pré-exposition. Il est important de souligner toutefois que le préservatif permet, à moindre coût, de se protéger du virus VIH et participe également à la prévention des autres infections sexuellement transmissibles (IST), ce qui n’est ni le cas de la PEP, ni de la PrEP.

Quelle est la différence entre la PEP et la PrEP?

La PEP (prophylaxie post-exposition) consiste à prendre une trithérapie (trois médicaments contre le VIH), comme une personne réellement infectée par le virus, durant un mois, après l’éventuelle exposition au VIH. La clef de voûte de ce traitement réside dans la rapidité d’introduction de celui-ci, qui doit se faire le plus vite possible, au plus tard 48h post exposition. Ceci justifie de ne pas attendre pour consulter un médecin. La PrEP consiste, par contre, à prendre une bithérapie (deux médicaments contre le VIH) avant l’éventuelle exposition au virus et durant toute la durée de celle-ci.

En quoi consiste donc cette PrEP?

Il s’agit de proposer aux hommes et aux femmes, qui seraient à certains moments de leur vie fortement exposés à un risque d’infection par le VIH, de prendre quotidiennement un comprimé de Truvada® (une pilule qui contient le tenofovir et l’emtricitabine). Tout comme la PEP, cette intervention se fait sous guidance médicale et ne garantit pas 100% de succès. Elle vient s’ajouter aux autres méthodes de «safer sex» (utilisation de préservatifs et dépistages réguliers), mais ne les remplace pas.

Comment cela se passe-t-il concrètement?

Tout débute par une discussion avec un médecin prescripteur, qui va évaluer la pertinence de l’indication à la PrEP. Une fois celle-ci retenue, un bilan sanguin de départ est nécessaire. Il comprend un dépistage VIH et IST, l’exclusion de l’infection par l’hépatite B ainsi qu’une évaluation de la fonction rénale, entre autres. L’ordonnance sera remise à la personne concernée, qui devra se fournir en Truvada® à sa charge, car en Suisse, cette prescription n’est pas remboursée par la LAMal. Un suivi médical sera mis en place, qui correspond habituellement à un contrôle clinique et de laboratoire tous les trois mois.

Et l’efficacité?

On base cette pratique principalement sur les résultats de trois grandes études: l’étude américaine précurseur iPrEx[ii], l’étude anglaise PROUD[iii] et la française IperGay[iv]. La première a montré plus de 90% d’efficacité chez les participants, qui suivaient scrupuleusement la prescription quotidienne du médicament; les deux autres 86%. Il est très important de comprendre qu’une excellente adhérence thérapeutique est nécessaire. Les cas d’infections recensés dans ces études l’étaient chez des personnes dont le taux de médicament était sous-optimal ou inexistant dans le sang, au moment du contact à risque.

La PrEP s’adresse aux personnes fortement exposées au VIH, de qui s’agit-il?

La définition retenue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)[v] est celle d’une population pour laquelle l’incidence d’infection est supérieure à 3 pour cent personnes-années. Ceci peut être traduit, dans la pratique, par l’association de pratiques à risques tels la multiplicité des partenaires sexuels, la difficulté à utiliser des préservatifs lors de rapports sexuels anaux ou vaginaux, l’emploi de substances psychoactives, en particulier le «chemsex». A cela s’ajoute, des antécédents d’infections sexuellement transmissibles, comme la syphilis, l’infection par chlamydia, la gonorrhée ou la prescription antérieure de PEP et le fait d’appartenir à une communauté dans laquelle la prévalence de l’infection VIH est plus élevée, en particulier les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. En Suisse, c’est surtout cette dernière population qui est concernée par la PrEP.

Existe-t-il plusieurs façons de prendre la PrEP?

Effectivement, si l’étude iPrEx a démontré l’efficacité de la prise quotidienne ininterrompue de Truvada®, l’étude française IperGay a démontré celle de son utilisation intermittente, chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, c’est-à-dire avant, pendant et les deux jours suivant le dernier rapport sexuel à risque. Le choix entre les deux méthodes devrait être discuté avec le prescripteur et prendre en compte la situation de vie de la personne.

Existe-t-il une éventuelle toxicité associée à la prise à long terme?

La composante de tenofovir dans le Truvada® a été associée à une potentielle toxicité rénale et une modification de la densité minérale osseuse, c’est une des raisons pour lesquelles la personne utilisant une PrEP doit avoir un suivi médical. Il existe une nouvelle formulation de cette molécule, exempte de ces problèmes, mais des étude cliniques doivent encore déterminer si elle pourra être utilisée pour la PrEP.

Dr Emmanuelle Boffi El Amari

Docteur Emmanuelle Boffi El Amari, FMH Médecine Interne et Maladies Infectieuses. Actuellement installée en cabinet, en ville de Genève, elle est également médecin responsable du Centre Checkpoint de Genève. Elle a été médecin cheffe de clinique et consultante à l’Unité VIH du service des maladies infectieuses des Hôpitaux Universitaires de Genève.

Article initialement paru dans Swiss Aids News 3, octobre 2016

Illustration : campagne « Got PrEP ? », The Stigma Project

 

[i] Vernazza P, Hirschel B, Bernasconi, E, Flepp M. Les personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle. Bulletin des médecins suisses. 2008;89(5): 165-9.

[ii] Grant RM, Lama JR, Anderson PL, McMahan V, Liu AY, Vargas L, et al. Preexposure chemoprophylaxis for HIV prevention in men who have sex with men. N Engl J Med. 2010; 363(27): 2587-99.

[iii] McCormack S, Dunn DT, Desai M, Dolling DI, Gafos M, Gilson R, et al. Pre-exposure prophylaxis to prevent the acquisition of HIV-1 infection (PROUD): effectiveness results from the pilot phase of a pragmatic openlabel randomised trial. Lancet. 2016;387 (10013):53-60.

[iv] Molina JM, Capitant C, Spire B, Pialoux G, Cotte L, Charreau I, et al. Ondemand preexposure prophylaxis in men athigh risk for HIV-1 infection. N Engl J Med. 2015; 373(23): 2237-46.

[v] WHO. Policy brief on oral preexposure prophylaxis of HIV infection (PrEP) 2015. Téléchargeable à l’adresse suivante: www.who.int/hiv/pub/prep/policy-brief-prep-2015/en.