Jeunes et invincibles face au VIH

tumblr_m65cp9npLL1r1l6fjo1_500Didier Lestrade revient pour Slate sur les rapports des 15-24 ans à la prévention du VIH : « Voilà le principal effet secondaire de la victoire thérapeutique face au VIH: les 15 ans-24 ans pensent que la maladie ne les concerne pas. »

 

 

C’est au détour d’un article américain que ce terme apparaît: les Invincibles. Il décrit la génération de jeunes gays bien déterminés, de 15 ans à 24 ans, qui n’a pas connu la dureté du sida et qui ne ressent aucun sentiment de crainte vis-à-vis de l’épidémie qui a pourtant marqué la culture LGBT.

 

Identifiés en tant que gays ou pas, ils ont une sexualité sans équivalent dans l’histoire moderne de l’homosexualité. Ils sont décomplexés devant la prise de risque du VIH et des drogues, même s’ils appartiennent à un groupe très exposé aux nouvelles contaminations. Ils se dépistent de moins en moins. Pourtant le nombre des contaminations a augmenté de 132% en 10 ans dans cette tranche d’âge aux Etats-Unis. Sans capote, sans reproche, sans peur –et jeunes.

 

C’est le principal effet secondaire de la victoire thérapeutique face au VIH. Les nouvelles classes d’antirétroviraux sont plus puissantes, mieux tolérées, plus faciles à prendre. La très grande majorité des gays séropositifs en France est bien suivie et leur charge virale est souvent indétectable quand ils prennent bien leur traitement. Pour certains, cela fait plus de dix ans que leur charge virale est à zéro. Forcément, cela change la perception du risque. Le mot de code sexuel du XXIe siècle est «indétectable».

 

La nouvelle génération est loin d’être stupide et elle a très bien compris que son arrivée dans la sexualité active du XXIe siècle est mieux protégée du sida. Il y a des traitements pour les soins d’urgence (TPE), dans la prévention du sida (TasP et PreP) et certaines villes des Etats-Unis commencent à distribuer gratuitement le Truvada aux gays qui prennent des risques sexuels. Même s’ils ne sont pas forcément au courant des dernières révolutions médicales, ils s’imaginent que le sida n’est pas autour d’eux. Et s’il l’est, il circule sous une forme atténuée, beaucoup moins virulente qu’en 2000, par exemple.

 

Le préservatif? Ça les fatigue

Les Invincibles ont donc cette certitude diffuse que le sida ne les concerne pas. Même face aux gays plus âgés, plus touchés, ils s’en fichent. Ils n’ont pas envie de connaître l’histoire puisqu’ils ont l’argument imparable: ils sont nés en plein dedans, leurs parents n’ont cessé de leur parler du préservatif, ça les fatigue. Comme plus personne ne discute du sida désormais, d’une manière sociale ou sentimentale, le sujet est tellement évacué qu’il disparaît rapidement. Et s’il surgit dans une discussion ou sur Internet, c’est pour le traiter avec ironie et sarcasme. Le sida est enfin drôle, comme disait South Park en 2002.

 

Les Invincibles font finalement comme les autres jeunes de leur génération, gays, bi ou hétéros, qui ont une activité sexuelle qui impressionne les médias. Partouzes hétéros chez les teenagers, doubles pénétrations avec les filles, fist fucking chez les kids de 22 ans, le sperme est partout.

 

Pourtant un article récent du Wall Street Journal rappelle que la sexualité des ados est toujours peu suivie par les médecins. Livrés à eux-mêmes, ils transforment cette liberté en rébellion. Même si aux Etats-Unis, une nouvelle contamination sur quatre concerne les jeunes de 13 à 24 ans. Et il suffit de parler aux jeunes de 25 ans autour de soi: très peu connaissent le fonctionnement de l’herpès, des chlamydia et des autres IST. Ils sont tout le temps sur Internet mais ils ne prennent pas la peine de faire une recherche Google pour mieux se protéger de ces affections barbares et soit-disant anciennes.

 

Cette tranche d’âge a été le sujet de nombreuses études qui prédisaient que les jeunes seraient particulièrement à risque du VIH et des IST. Chez les hétéros, les épidémies de chlamydia se développent en Europe et dans les pays riches. Aux Etats-Unis (et sûrement en France aussi, mais la loi interdit des études fondées sur l’ethnicité), les minorités ethniques à l’intérieur de la communauté LGBT sont particulièrement concernées. Selon le CDC d’Atlanta, les jeunes sont le groupe le plus concerné par les nouvelles contaminations.

 

Les paratonerres viraux

Relativisons: la prévalence du VIH au sein de cette génération est beaucoup moins élevée que chez les 40 ans-50 ans. Mais si le déni du sida s’est bien installé dans la société en général (on est passé à autre chose, ce qui est aussi normal), il est incroyablement plus puissant chez les jeunes qui voient bien que le sujet ne les atteint pas. L’éducation sexuelle au lycée, toujours déficiente, est remplacée par le porno. L’Education nationale reste traumatisée à l’idée de parler de sexe et de prévention. Mais le triste constat est là: les jeunes ne savent même plus que le VIH est une infection sexuellement transmissible.

 

Chez les gays, les Invincibles ont leurs leaders, souvent déjà contaminés, mais en contrôle de leur affection. Ils sont suivis médicalement, ils prennent leur premier traitement (souvent du Truvada) qui les rend malades, ils en prennent un autre qu’ils tolèrent bien mieux, leur charge virale est indétectable, ils sont un exemple pour les autres qui, bien sûr, ne veulent «pas se prendre la tête» avec le VIH. Ils prennent des drogues pour baiser, ils apprennent vite, ils ont du succès sur les réseaux de drague. Et s’ils découvrent qu’ils sont séropositifs, ils surprennent souvent les médecins par leur connaissance de la procédure à suivre.

 

Les Invincibles sont donc pour les autres jeunes une sorte de paratonnerre viral. Ils atténuent la violence du sida autour d’eux afin que les autres soient moins inquiétés. Ils font partie de ces gays nouvellement contaminés qui ont une relation décomplexée avec le VIH. Les Invincibles se pensent intouchables car ils sont la première génération de barebackers sortis de la polémique sur la prévention gay du début des années 2000. Ils sont les preuves vivantes que l’homosexualité a dépassé le VIH.

 

Ils sont clean, comme ils disent.

Source : Slate.fr