Réunies fin avril en Catalogne, les familles LGBT européennes ont pu constater à quel point leur statut juridique diverge d’un pays à l’autre. Désormais, la lutte s’organise à l’échelle de l’UE.
La 2e rencontre européenne des familles LGBT s’est tenue du 28 avril au 1er mai à Lloret del Mar, en Catalogne. Photo © Cathy Macherel.

«J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de plaider pour la cause des familles LGBT devant une cour de justice. Mais jusqu’ici, cela restait quelque chose d’abstrait. Aujourd’hui, voir autant de membres de familles LGBT devant moi, et surtout tous ces enfants, donne un sens tout à fait concret à notre combat pour l’égalité des droits.» Robert Wintermute, avocat britannique, était l’un des nombreux invités venus faire le point sur la situation juridique en Europe à la 2e rencontre européenne des familles LGBT, qui s’est tenue du 28 avril au 1er mai à Lloret del Mar, en Catalogne.

Cet expert a parfaitement résumé le sentiment général partagé durant ces quatre jours: grâce à cette rencontre, sans doute pour la première fois en Europe, les familles LGBT ont vraiment pris conscience de l’ampleur de leur réalité sociale. Mille personnes avaient fait le déplacement, bien plus qu’à Paris il y a deux ans, représentant pas moins d’une vingtaine de pays. Aspect particulièrement frappant: un tiers des familles étaient composées de deux papas, grâce notamment à une forte délégation espagnole

PATCHWORK JURIDIQUE

Les familles sont venues chercher des contacts, chacune profitant de l’occasion pour échanger sur son expérience, et montrer à ses enfants qu’ils sont loin d’être une exception. Côté conférences et workshops, on a beaucoup parlé de stratégie, avec cette omniprésente interrogation: «Comment faire reconnaître les droits de nos enfants, de nos familles?» Une question qui a mis en relief la diversité des statuts juridiques des familles selon le pays dans lequel elles résident, diversité telle qu’elle finit par dresser un tableau quasi absurde de l’Europe. On a affaire à «une Union européenne qui, d’un côté, est très décidée à faire respecter les mesures économiques à tous les Etats membres, mais de l’autre, n’a aucune exigence à faire respecter les droits civils», comme le relèvent à Rome deux papas dans le film «Right2Love», documentaire montré en avant-première et très applaudi à Lloret del Mar.

Même constat en live au cours de cette rencontre de quatre jours, durant laquelle chacun a pu témoigner de son parcours, souvent semé d’embûches, d’abord pour devenir parent, ensuite pour faire reconnaître la légitimité de sa famille. Avec des différences énormes selon que l’on habite en Espagne ou en Italie, en Belgique ou en Pologne (lire nos neuf portraits)… En découlent d’incroyables situations dans l’Union européenne: un enfant élevé par ses deux mamans mariées dans un pays donné ne se retrouve plus qu’avec une mère légale quand sa famille déménage dans l’Etat voisin. «Ces différences de statut et de droits créent les conditions des discriminations que subissent ces familles, provoquant exils et situations de réfugiés», dénonce le NELFA, réseau européen des associations de familles LGBT, qui met en place un mouvement de lutte à grande échelle.

DES REVENDICATIONS

La rencontre de Lloret del Mar débouche ainsi sur un manifeste exigeant de l’Union européenne – et des pays qui s’alignent sur le droit européen comme la Suisse – un respect des règles et des jurisprudences communautaires de manière à permettre la reconnaissance juridique des familles LGBT. Sont notamment réclamés sur l’ensemble du territoire de l’UE le droit au mariage, le droit à l’adoption ou encore l’accès à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui. Avec l’espoir que dans deux ans à Cologne, où se déroulera la 3e rencontre des familles LGBT européennes, les droits aient quelque peu progressé…

Neuf familles en Europe, et autant de statuts

ESPAGNE
Même en Espagne, paradis des droits pour les familles homoparentales, certains se battent pour faire reconnaître leur existence. Ignacio et Carles, de Valence, sont devenus parents en Californie de deux garçons en 2008, Mark et Carlos, avec l’aide d’une amie – qui a fait don de ses ovules – et d’une mère porteuse. Pour les Etats-Unis, les enfants sont américains et la famille parfaitement reconnue. Rentrés en Espagne l’année même de la naissance de leurs fils, Ignacio et Carles se battent depuis lors pour être reconnus comme étant bien les deux pères de leurs deux enfants. «A notre arrivée en Espagne, on a encore eu de la chance: à la douane, le policier nous a laissé passer sans tiquer sur le fait que nos deux enfants avaient le passeport américain, et surtout sans mettre de tampon qui leur aurait laissé le droit de rester trois mois en Espagne. On s’est ensuite battus pour qu’ils obtiennent une carte d’identité espagnole. Mark et Carlos sont ainsi enregistrés à nos noms. Mais tout s’est gâté en 2009, lorsque l’Etat a menacé de nous les enlever pour les placer en institution.»

Pas question de se laisser faire, dit Ignacio, «ils veulent la guerre, ils auront la guerre. Je leur ai dit que s’ils faisaient ça, je me rendais illico à New York pour déposer plainte pour séquestration de deux citoyens américains, qui plus est des enfants! Et je leur ai dit, “ vous savez de quoi les Américains sont capables ”… ça les a calmés.» Problème, toutefois: l’Etat espagnol veut maintenant que les enfants bénéficient d’une procédure d’adoption, ce que le couple refuse : «Nous sommes déjà les parents légaux de nos enfants. Si l’on entame cette procédure, cela signifie que l’on doit renoncer à nos droits parentaux aux Etats-Unis! Et surtout, seul l’un d’entre nous serait le père officiel. C’est absurde. Nous sommes des parents reconnus en Californie, l’Espagne n’a qu’à en prendre acte.» Ignacio et Carles sont donc pris dans une procédure judiciaire qui risque bien de durer: «Si l’on veut nous embêter, avec tous les recours dont nous disposons, nos enfants seront quasi majeurs quand la décision de justice tombera. En attendant, on vit notre vie de famille, tranquilles.»

POLOGNE

Dans la très catholique Pologne, comme en Italie, les droits LGBT sont au niveau zéro. Mais contrairement à la Péninsule, les choses commencent à bouger depuis la percée du nouveau parti libéralaux dernières élections, se réjouit Anna, qui vit dans un appartement à Varsovie avec Miroslawa et leur fils Oskar, de 13 ans. «Dans notre entourage, certains connaissent notre situation. De plus en plus, en Pologne, les homos ne sont plus dans le placard, et selon des études, 70% de la population polonaise soutiendrait un partenariat. Un projet de loi est envisagé, soutenu par deux partis, mais il y a bien sûr encore du chemin à faire.» Comme pour la reconnaissance des familles homoparentales, déplore Anna: «Là, on en est encore loin. C’est simple, à l’école, chez le médecin, on ne parle qu’à la mère biologique. L’autre n’est rien.»

FRANCE
Nathalie et Marie, de la région de Montpellier, partagent leur vie depuis 25 ans. Il y a quelques années vint leur désir de parentalité et celui d’adopter des enfants. «Nous avons chacune déposé unedemande en même temps, en tant que femme célibataire. On a dû jouer le jeu jusqu’au bout, vivre dans deux appartements séparés. Même nos familles n’étaient pas au courant de nos démarches», raconte Nathalie. «Psychologiquement, c’était dur. Mais le plus drôle, c’est que nous sommes tombées sur la même assistante sociale pour l’évaluation de nos dossiers respectifs. » Au bout de ce parcours, le bonheur: Nathalie a pu adopter Cassandre en Haïti, et Marie adopter Loïs au Vietnam. Leurs deux enfants ont aujourd’hui 6 et 4 ans. Désirent-elles devenir chacune la mère légale de l’enfant de l’autre? «Bien sûr, mais on ne se bat pas formellement pour cela aujourd’hui; quand on adopte, on vit toujours dans la crainte, et c’est encore un peu le cas aujourd’hui.» Le couple compte maintenant sur le retour de la gauche au pouvoir pour faire évoluer les choses. «François Hollande a promis le mariage et l’adoption, nous attendons!»
ITALIE
L’Italie figure au rang des pays désertiques en matière de droits LGBT en Europe. Pas de mariage, pas d’union civile, et bien sûr aucun droit pour les familles homoparentales. «Nous vivons dans un pays où l’on peut dire qu’il y a vraiment une homophobie d’Etat», souligne Ilaria et Antonella, de Bologne, mamans de Vittoria (6 ans). Elles rappellent que le Parlement italien avait renoncé à légiférer sur un projet de partenariat en 2010, provoquant la colère des associations LGBT. Décidées à se battre, elles font partie de 40 couples qui ont entamé une procédure en justice pour tenter d’obtenir le droit de se marier. Pour Ilaria et Antonella, l’absence totale de reconnaissance de leur famille est d’autant plus absurde qu’elles ont vécu en Espagne, où a été conçue Vittoria: «Un pays où nous avons pu nous marier et où nous sommes reconnues comme les deux mamans de notre fille. En Italie, Vittoria n’a plus qu’une mère et notre couple n’a aucune existence légale, c’est injuste.»
SUISSE

Ana Isabel, originaire d’Espagne et du Costa Rica, et Christine, Suissesse, vivent à Zurich. Leurs deux enfants, Gabriel et Julien, un an et demi, sont nés à Barcelone. Pour l’Espagne, elles sont toutes lesdeux mères de leurs enfants. Il n’en va pas de même pour la Suisse qui ne reconnaît que la mère biologique, Ana Isabel, comme seul parent des deux enfants. A une heure d’avion en Europe, le statut de Christine change donc du tout au tout. Pas question de suivre le conseil de leur avocat qui préconisait une simple demande de droit de garde pour tenter d’améliorer le statut de Christine. «Christine est une maman légitime, reconnue comme telle en Espagne, il n’y pas de raison de nier cela, tonne Ana Isabel. En octobre 2011, nous avons déposé une demande de reconnaissance du statut de mère de Christine par la Suisse auprès des autorités fédérales, en nous reposant sur une disposition du droit qui dit en substance que si un autre Etat reconnaît une situation donnée, la Suisse peut aussi la reconnaître. La décision devrait tomber en juin, nous croisons les doigts.»

AUTRICHE

«En Autriche, comme en Suisse, nous nous battons pour obtenir une loi afin d’obtenir déjà l’adoption par le ou la partenaire», expliquent Barbara et Andrea, parents du petit Paul, 6 ans, et qui s’activent au sein de l’association FAMOS pour faire progresser la cause. «Mais en Autriche, nous avons affaire un courant très conservateur, et il faudra probablement encore pas mal de temps avant d’obtenir quelque chose. Malgré tout, les choses bougent. A la miavril, la commission bioéthique nationale est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait pas de raison de priver les couples d’homosexuelles d’accéder à la procréation médicalement assistée.»

BELGIQUE

Luis, originaire du Portugal et d’Angola, et Jarl, originaire de Suède, sont les deux papas de Georgina, 7 ans, née aux Etats-Unis. Ils vivent en Belgique, à Bruxelles, pays qui accorde aux couples homosexuels le droit d’adopter. Le chemin a pourtant été long. «Au niveau de l’agrément, nous avions un dossier béton, se souvient Luis, mais nous nous sommes vite rendus compte que notre dossier restait sur la pile, car les portes des agences d’adoption en Belgique se fermaient toutes devant nous. La loi, c’est une chose, mais dans la pratique, l’adoption, surtout l’adoption internationale, reste galère pour les couples d’hommes en Europe.» Alors Luis et Jarl se sont tournés vers les Etats- Unis, auprès d’un centre à Chicago qui conseille les femmes enceintes en difficulté sur leurs différentes options, notamment sur l’adoption. C’est grâce à ce centre qu’ils ont pu adopter Georgina en 2005. «Notre combat quotidien, aujourd’hui, est celui d’intégrer Georgina, dans une société à majorité blanche et hétérosexuelle. Nous faisons très attention à ce qu’elle garde des liens avec ses origines, en allant notamment tous les deux ans à Chicago et en gardant des contacts réguliers avec ses deux familles d’accueil américaines, qui sont ainsi devenues des membres de notre famille élargie», dit Luis. Il définit sa famille comme une oeuvre d’amour polyglotte, multiculturelle et multiraciale.

FINLANDE

En Finlande, les droits LGBT en sont au stade de l’union civile et, depuis 2009, du droit d’adopter l’enfant de son partenaire. Pour Juha et Sakari, parents de Aada (16 ans), Eskil (16 ans) et Otso (13 ans), «il s’agit maintenant de se battre pour acquérir le mariage et l’adoption conjointe». Car la loi de 2009 est loin d’être suffisante, relève Juha. Elle ne permet pas, en cas de projet de coparentalité, de reconnaître plus de deux parents, ce qui ne manque pas de créer des situations douloureuses. Un combat de longue haleine, tant l’avancée des droits se heurte désormais en Finlande à une situation politique difficile, après une poussée de l’extrême droite en 2011.

GRÈCE

En Grèce, «un gay et une lesbienne préfèrent souvent avoir une relation fictive leur permettant de former une famille, relation qui les couvre aux yeux de leur propre famille, de leurs parents et de la société», explique Grazia dans «Right2Love», l’excellent documentaire dressant le portrait de familles LGBT en Europe, présente avec sa famille à Lloret del Mar. Durant 18 ans, c’est le choix qu’a ainsi fait Grazia, en vivant avec le père de ses trois enfants tout en se sachant différente, avant de s’en aller vivre avec Stella et d’agrandir encore la famille, grâce à Giannis et Adonis (en photo). «Nous vivons dans un petit village où il y a heureusement une amie qui nous soutient. Mais pour le reste, nous sommes considérées comme des citoyennes de seconde zone», explique Stella, qui souligne aussi l’injustice de devoir d’un côté se plier à toutes les contraintes budgétaires européennes, et de l’autre, de ne bénéficier d’aucun droit, même le plus basique. «En Grèce, les homosexuels ne sont pas protégés. Se tenir la main dans la rue est une vraie prise de risque pour son intégrité physique.»