Témoignages : Vivre avec le VIH depuis 30 ans

Ils ont été diagnostiqués dans les premiers temps de l’épidémie. En fait, une mort annoncée dans quelques mois ou quelques années. Autour d’eux, des amis, des amants mourraient. Eux ont survécu. Entre la résignation, la colère, le déni, l’acceptation, ils sont passés par toutes les étapes, mais très vite le désir de vivre a repris avec une date d’expiration peut-être plus rapprochée que pour les autres. Ils ont vécu l’époque où le seul médicament était l’AZT, où l’on jugulait les maladies opportunistes liées à l’affaiblissement des défenses immunitaires. Ils ont vu et expérimenté les premières trithérapies en y mettant un espoir mesuré. Aujourd’hui, même s’ils se considèrent comme des survivants, ou encore comme en sursis, ils ont appris à vivre avec le VIH.

 Trois témoignages canadiens cités par Fugues.com

Dans les années quatre-vingt, il était impossible pour un médecin d’annoncer la séropositivité à un patient sans que ce soit vécu comme une condamnation à mort.

RENE LAVOIEPour René Lavoie, cofondateur de Séro Zéro (aujourd’hui Rézo), deux de ses meilleurs amis étaient morts l’année précédente quand il a su qu’il était infecté et il s’occupait d’un troisième ami qui allait mourir trois semaines plus tard. «C’était une période particulière. Beaucoup d’entre nous mourraient, et une fois diagnostiqué, on se demandait quand ce serait notre tour. J’en ai parlé d’abord à mes amis, puis j’ai organisé un souper de famille où je l’ai annoncé. C’était d’une grande tristesse ». À l’époque, ce n’était pas seulement le fait de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il fallait composer avec la perception sociale de la maladie. « Il y avait un tabou énorme autour de la maladie. On considérait les malades comme des pestiférés, et c’était dirons-nous un peu plus facile de le vivre dans un réseau social rapproché », continue Réné Lavoie. Pour celui qui deviendra un militant-sida, tout dépend comment tu te sens face à la maladie. Au lieu de s’y opposer, René Lavoie a préféré un certain fatalisme et de prendre cela au jour le jour.

ANDRE ¨PATRIEAndré Patry, enseignant, se souvient que les quelques jours qui ont suivi l’annonce l’ont plongé dans une très grande tristesse. Mais il a adopté ensuite une solution radicale face à la maladie. «Je me suis dit que si je n’avais plus quelques mois à vivre, je devais en profiter un maximum. Comme on m’avait dit qu’il y avait 50 % des personnes atteintes qui survivaient, je me suis dit que je ferai partie de ces 50 %-là». Tout au long de l’entrevue, André Patry reviendra sur l’attitude positive qu’il a toujours eue. «Je suis quelqu’un d’optimiste dans la vie, je pense toujours qu’il y a des solutions à tout, alors j’ai pris la vie comme elle venait, en sachant que tout pouvait s’arrêter demain matin. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais pensé à un plan de retraite ou encore aux RÉER. C’est drôle, parce qu’aujourd’hui, à plus de cinquante an, je dois penser à la retraite qui s’en vient. Inimaginable quand on m’a annoncé que j’étais séropositif en 1983 ». Ne pas s’empêcher de vivre, bien au contraire, ou encore d’en profiter pleinement parce que le temps était compté.

« Après le choc de l’annonce, puis les quelques semaines où j’ai vécu un peu comme un automate, la fameuse plaisanterie qui dit “Si vous n’aviez plus que trois mois à vivre, qu’est-ce vous feriez ?”, prend tout son sens », avance Roger Le Clerc. « J’avais averti rapidement mes proches, surtout mes enfants, et je croyais que je n’avais plus que quelques mois à vivre, mais je ne sais pas trop comment, j’ai repris ma vie comme si je n’étais pas séropositif. Mais il suffisait que j’aie un début de rhume ou de grippe pour que tout revienne, et que je me dise, ça y est, c’est le début de la fin. Je crois que j’ai vécu dans un certain déni de la maladie pendant un an ou deux ».

L’arrivée des trithérapies

En 1996, les premières trithérapies arrivent et donnent un certain espoir. « Même si à partir de 1992, avec le fait que l’on connaisse mieux le traitement des maladies opportunistes qui reportait de quelques mois les risques de mourir, ce n’est qu’à partir de 1996 où je me suis dit que j’avais peut-être un avenir plus long que je ne le pensais », se souvient René Lavoie. «Comme ma santé était bonne, que j’avais une qualité de vie, di-sons que j’ai pu me projeter dans l’avenir ».L’avancée médicale va changer radicalement la manière de penser le VIH. D’une maladie mortelle, on passe à la chronicisation de la ma-ladie. « En 1996, j’étais à ce moment-là directeur de la COCQ-Sida, et on n’a pas crié victoire avec les trithérapies, car il y avait encore un aspect expérimental et qu’elle géné- raient beaucoup d’effets secondai-res qui hypothéquaient la qualité de vie. Mais, on s’accrochait à cet espoir, et comme les autres, j’ai commencé la médication », rappelle Roger Le Clerc.Pas toujours évident de se dire que peut-être la durée de vie pouvait d’un seul coup être la même que toute personne séronégative. « Je ne sais pourquoi, mais même quand j’ai su que ma charge virale était indétectable grâce aux médicaments, ça n’a pas changé ma perception de l’avenir. Je pensais que de toute manière, je ne vivrais pas vieux », de conclure André Patry avec un rire dans la voix.

Aujourd’hui

 Comme beaucoup d’autres hommes qui vivent avec le VIH, André, René et Roger se considèrent comme des survivants. Des survivants… bons vivants. Font-ils particulièrement attention à leur régime de vie ? Oui et non. Oui dans l’observance de la prise de médicaments ou encore dans le suivi avec le médecin, mais c’est à peu près tout. En fait, les changements sont plus liés à l’âge qu’à une vie organisée autour du VIH.        « C’est difficile de répondre à cette question », confie René Lavoie, « Honnêtement, je ne sais pas. Je suis en semi-retraite donc j’organise mon temps comme je le veux. Je veux faire une sieste, je la fais. J’aime prendre une marche par jour, mais si je n’en ai pas le goût, je ne me force pas. Et comme je n’ai jamais fait d’excès dans ma vie, comme l’alcool, ou encore la drogue, je n’ai pas le sentiment d’avoir organisé mon rythme de vie en fonction du VIH, sinon pour la prise quotidienne de médicaments ou mes rendez-vous réguliers avec mon médecin. Il ne faut pas tomber dans un hygié-niste moral non plus », de conclure celui qui donne du temps comme bénévole pour la municipalité de Pohénégamook où il
réside depuis quelques années.

Pas de changement non plus pour André Patry. « Je préfère vivre intensément que de me priver. Peut-être aussi que je n’ai pas à faire trop attention, car je n’ai jamais aimé l’alcool, je n’ai jamais fumé et que je me suis toujours entrainé dans des gyms. Mais de m’entrainer n’a rien à voir avec le VIH, c’est un plaisir pour moi avant tout. De savoir que l’on aurait pu mourir, me donne envie de vivre pleinement sans me soucier tout le temps dans ma tête du VIH. Je ne sais si je suis chanceux, mais je n’ai jamais eu aucune maladie liée au VIH, alors pourquoi devrais-je m’en faire ».

Roger Le ClercSi la maladie fait partie de leur vie, ce n’est pas elle qui la dirige, et en ce sens Roger Le Clerc est on ne peut plus clair. « Qu’on me foute la paix avec une quelconque hygiène de vie. Je vivais avant le VIH, je ne suis pas né avec lui. J’ai simplement continué à vivre. Par deux fois, on m’a dit que j’allais mourir, en 1983, avec le VIH, et en 2005, avec une crise cardiaque et je suis toujours là. J’ai vécu en Afrique pendant quelques années, et même si j’étais un privilégié au regard de ce que vivait la population autour de moi, ce n’était pas les mêmes conditions sanitaires qu’ici, et je n’ai été malade », témoigne celui qui est reconnu pour son franc-parler. « J’ai 62 ans et je vis avec le VIH depuis l’âge de 33 ans, alors j’ai eu le temps de m’y faire. Je préfère continuer à m’amuser, ec’est à dire de travailler, comme je l’ai toujours fait, là où je sais que je peux être utile pour faire avancer les choses. Je suis un passionné par tout ce que je fais, donc je ne vois pas me contraindre à suivre un régime spécial. Bien sûr l’âge fait que mon rythme de vie n’est plus le même, mais le VIH n’en est pas la cause. Comme cela fait près de trente ans que ma fin a été annoncée, je prends chaque jour comme un cadeau dont je veux profiter. Mais peut-être ai-je été privilégié côté santé ce que d’autres n’ont pas eu ».Pour les trois hommes, la façon de percevoir et de vivre la maladie semble avoir été déterminante. Pas de pensées magiques, mais de se dire pour en être passés proches et d’avoir vus beaucoup d’amis disparaitre que la mort faisait partie de la vie, et que plutôt que de mourir avant l’heure dans la résignation, il valait mieux profiter de ce qu’elle offrait. Et si vieillir les ennuie, ils ne baisseront jamais les bras. Comme ils n’ont jamais baissé les bras avec le VIH.