Foot et homophobie: interview du sociologue Philippe Liotard

JO

           La France et surtout Paris vont donc organiser les Gay Games en 2018. Nul doute que ce sera l’occasion pour le petit monde du sport de se confronter à la délicate question de l’homophobie et de la reconnaissance du sport gay et lesbien. Philippe Liotard, enseignant à l’université Lyon I et sociologue spécialisé sur les modifications corporelles, sexualité, sport, violences et handicap, nous livre quelques clés pour en comprendre les éventuelles implications dans le football.

Peut-on considérer que l’attribution des Gay Games à Paris soit une bonne nouvelle ? Quelle place y occupe le football ?

Si l’on considère que l’organisation d’un grand événement sportif est une bonne nouvelle, alors c’en est une. Les Gay Games constituent en effet un événement sportif de grande ampleur, certainement le plus important si l’on s’en tient au nombre de participants et de participantes. Le football est un des 35 sports organisés aux Gay Games qui se tiendront à Cleveland dans l’Ohio à l’été 2014. Ça remet les pendules à l’heure pour ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’homosexuels dans le foot.

Un sondage publié sur l’homophobie dans le football, si tant est que l’on puisse s’appuyer sur ce genre d’enquête, rendait des résultats inquiétants. Pensez-vous que les Gay Games peuvent inverser la tendance ?

Les réactions que l’on observe dans la presse en ligne (notamment par le biais des commentaires laissés par les lecteurs) font apparaître un certain nombre de choses. D’abord, bien sûr, l’homophobie s’exprime à propos de l’existence même de l’événement, dès lors qu’il revendique le rassemblement de personnes homosexuelles à des fins sportives et festives. Ce genre de propos n’est pas éloigné de ceux que l’on trouve en Russie où, par ailleurs, le moindre rassemblement homosexuel est violemment réprimé. De fait, l’annonce de la tenue des Gay Games à Paris génère des réactions spontanées de haine, mais bien plus souvent de rejet, de gêne ou d’incompréhension. De plus, un certain nombre de commentaires indiquent que ces réactions ne sont pas liées à une homophobie viscérale, mais résultent plutôt d’une méconnaissance de l’événement et de sa logique. En conséquence, les explications qui sont données permettent de lever les interprétations erronées à ce propos. De là à renverser la tendance homophobe d’une partie de la population française, il y a un pas qui est encore loin d’être franchi. Cependant, les Gay Games contribuent à fournir une image des homosexuels (hommes ou femmes) ou des personnes trans, bien éloignée des stéréotypes. En ce sens, ils transforment le regard de celles et de ceux qui acceptent de regarder un monde qu’ils ou elles ne connaissent pas

Le football occupe-t-il avec l’homophobie le même rôle que le cyclisme avec le dopage : le mauvais élève de la famille olympique qu’il est facile de jeter en pâture à l’opinion pour mieux masquer une situation d’ensemble peu ragoutante dans les autres sports ?

Si j’en crois l’ancien président de la Fédération française de football, Jean-Pierre Escalettes, il n’y a pas lieu d’œuvrer contre l’homophobie dans le foot, ce qui aurait pour conséquence d’imposer, selon lui, des problèmes là où il n’y en a pas. Mais je crois que lorsqu’il a dit ça – début 2010 si ma mémoire est bonne dans le film de Michel Royer, Sport et homosexualité, c’est quoi le problème – il a surtout traduit l’aveuglement du monde du football vis-à-vis de l’homophobie. Je ne dirais pas que le foot est « le » mauvais élève. Mais assurément, il fait partie des plus mauvais et de ceux qui ont du mal à interroger leur homophobie ordinaire. Pourtant, des joueurs comme Vikash Dhorasso se sont engagés publiquement en jouant par exemple avec le Paris Foot Gay. Christian Karembeu ou Luis Fernandez ont évolué avec le Variété Club de France, aux côtés de Marinette Pichon, à Bondoufle, samedi 5 octobre dernier dans un match de gala contre les discriminations, l’opposant au PFG. D’un côté, l’institution FFF a du mal, et de l’autre se trouvent des initiatives de club – avec la signature de la charte du PFG « Carton rouge à l’homophobie » par des clubs professionnels comme Saint-Étienne, Montpellier, etc – , d’individus, voire de la Ligue professionnelle ou encore du ministère de la Jeunesse et des Sports. Mais les mentalités ne se transforment pas d’un coup de baguette magique, pas plus qu’elles ne se décrètent.

Le coming out est-il forcément le chemin obligé pour casser l’homophobie ambiante des instances sportives et du public ?

Le coming out s’avère une question politique. Il n’a pas le même sens aux États-Unis qu’en France, par exemple. Je ne pense pas que ce soit le passage obligé pour casser l’homophobie sportive. En revanche, ce qui est sûr, c’est que si certains sportifs de haut niveau n’avaient pas besoin de cacher leur homosexualité, cela pourrait aider à ce que le public ne se concentre plus sur les préférences sexuelles ou affectives des personnes dès qu’elles viennent à être connues. Le coming out est une chose, pouvoir invoquer spontanément son homosexualité sans se préoccuper de ce qui va être dit en est une autre.

L’apparition d’un mouvement sportif gay & lesbien a-t-il changé la donne ou constitue-t-il juste un pis aller, une position de repli ?

Le développement du mouvement sportif gay et lesbien est directement lié à la création des Gay Games. Mais comme les Gay Games, c’est effectivement un pis aller. La Fédération des Gay Games est sans doute la seule dont la finalité vise à sa propre disparition. En effet, créée pour dénoncer et lutter contre l’homophobie, elle n’existe que tant que l’homophobie dans le sport et dans la société lui paraît devoir être combattue. Il en va de même pour les clubs sportifs gays et lesbiens qui organisent une activité sportive pour des personnes qui ont parfois vécu de façon douloureuse leur expérience en milieu sportif ordinaire. Mais il ne s’agit pas que d’une position de repli. Il s’agit aussi d’envisager une autre manière de jouer, dans laquelle la compétition n’est plus la valeur ultime. Celle-ci réside plutôt dans le « jouer ensemble », ce qui autorise des rencontres où tout le monde peut se confronter, malgré des orientations sexuelles, des niveaux de jeu, des sexes, des âges ou des degrés de validité différents. C’est aussi, comme dans tout regroupement sportif, une manière de se retrouver « entre soi ».

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Philippe Liotard (sous la direction), Sport et homosexualités ( Quasimodo & fils) –