prostitution1A Genève, la prostitution a pignon sur rue. Principalement localisées dans le quartier populaire des Pâquis, les travailleuses du sexe occupent les rues situées derrière les hôtels de luxe qui bordent le lac, alors que leurs homologues masculins se trouvent à l’autre extrémité du quartier, à proximité de la gare Cornavin. Pour la plupart d’entre eux, qui ont abandonné leur pays d’origine et adopté une sexualité qui n’est pas la leur, les prises de risque pour leur santé sexuelle sont nombreuses. Apporter une réponse réaliste à leurs difficultés est un enjeu pour leur santé et celle de leurs clients.

La prostitution est une solution économique pour des migrants en grande précarité

La grande majorité des travailleurs du sexe masculins de Genève présents dans la rue est originaire des pays de l’est et plus précisément de Roumanie. La plupart sont Roms et subissent, en plus de la situation économique difficile du pays, des discriminations liées à leur appartenance ethnique. On compte aussi parmi les hommes pratiquant le sexe tarifé des ressortissants des pays sub-sahariens, ou encore des autres pays d’Europe et de Suisse. Concernant les roumains, par exemple, l’interdiction de la mendicité en ville de Genève a rendu la subsistance de ces migrants plus difficile, sans pour autant stopper le phénomène comme le revenu qu’il est possible d’en retirer, amende incluse, reste bien supérieur à celui envisageable en Roumanie[1]. La prostitution est depuis une alternative retenue par de nombreux jeunes.

La plupart des travailleurs du sexe masculin localisés sur cette « zone Mont-Blanc » ont entre 18 et 30 ans. Ils ont investi un espace traditionnellement dévolu à ce commerce et qui fut occupé, tour à tour, par des prostitués d’origine brésilienne, d’ex-Yougoslavie puis du Magreb. Pour la grande majorité, ils ont légalement le droit de se trouver sur le territoire Suisse et exercent leur activité sans qu’un intermédiaire ne les y contraigne. Beaucoup subsistent ainsi tout en remboursant les dettes qu’ils ont contractées pour payer leur transport.

Une prostitution homosexuelle pratiquée par des hétérosexuels

La prostitution est une opportunité économique pour des migrants avec des faibles ressources et dont la méconnaissance des langues du pays limite les possibilités d’embauche (les ressortissants roumains et bulgares sont hors des accords bilatéraux. Leur situation va évoluer en juin 2016). C’est donc la plupart du temps indépendamment de leur orientation sexuelle qu’ils se consacrent à la prostitution homosexuelle. Mais cette immixtion dans la scène gay n’est pas sans risque pour leur santé. Méconnaissant les codes homosexuels et n’étant que peu touchés par les discours de prévention à destination de la communauté, ils multiplient les prises de risque face au VIH et aux autres infections sexuellement transmissibles (IST). Or, pour eux comme pour le reste de la communauté gay, les prises de risque ne sont pas anodines en raison de la forte prévalence du virus et de pratiques sexuelles comme la sodomie qui facilitent les infections[2].

L’hétérosexualité de ces travailleurs du sexe pose également la question de leur partenaire. En effet, si l’argent est toujours le bienvenu, la prostitution est un sujet délicat à aborder dans le couple, et les relations homosexuelles demeurent un tabou. Aspasie, l’association de soutien aux prostitués de Genève (voir encadré), développe depuis 2013 une prise en charge mixte pour la santé sexuelle. Outre l’avantage direct de traiter le conjoint en cas d’IST, cette démarche participe également à la diffusion des messages de prévention.

Ceux qui délaissent la rue au profit des sites de rencontres sur internet ou des applications pour mobile sont plus conscients des risques auxquels ils s’exposent. Mais, l’isolement dans lequel ils pratiquent leur activité les confronte à d’autres dangers (isolement, agression, mauvais client…) et les prive de la solidarité qu’entretiennent, entre eux, les professionnels du sexe.

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L’accessibilité des soins n’écarte pas le besoin d’une prise en charge spécifique

De nombreux travailleurs du sexe masculins exerçant dans la rue ne disposent pas d’assurance maladie et ne développent donc pas de stratégie pour se prémunir des risques auxquels leur activité les expose. En mobilisant Checkpoint Genève, le centre de santé pour Hommes ayant des relations Sexuelles avec des Hommes (HSH), la CAMSCO (département de la médecine communautaire) et le département de dermatologie / vénérologie des Hôpitaux de Genève, Aspasie a su développer un parcours de soins simplifié pour les travailleurs du sexe migrants n’ayant pas accès aux caisses maladie. Cette offre de dépistage gratuit et de traitement est centrale dans le dispositif : non seulement elle permet une prise en charge en cas de besoin, mais participe aussi à la prévention en permettant à cette population de prendre conscience et d’évaluer les risques auxquels ils sont exposés.

Aspasie s’illustre aussi dans l’accompagnement qui entoure ces consultations. L’association fournit les interprètes nécessaires et coordonne les rendez-vous. Les allées et venues des migrants entre la Suisse et leur pays d’origine sont prises en compte pour que le traitement ne soit pas perturbé. Elle tente également d’organiser le suivi du traitement dans le pays d’origine.

Ce ne sont donc pas tant les ressources en soins qui posent problème, que leur adéquation avec les spécificités des travailleurs du sexe. La mobilité qui caractérise l’existence de cette population est un obstacle majeur à un accès efficace aux soins. Mais, la mise en place de parcours de soins cohérents contribue à une réelle amélioration de la situation.

Assurer une meilleure prévention en reconnaissant la prostitution comme moyen de subsistance

Au-delà des soins, Aspasie insiste sur le besoin de donner des perspectives aux jeunes migrants qui se prostituent pour subsister. En les aidant à envisager l’avenir, que celui-ci soit en Suisse ou à l’étranger, leur estime d’eux-mêmes s’en ressent et il devient plus facile de faire passer un message de prévention. Il ne s’agit pas de leur faire renoncer à la prostitution qui est d’ailleurs légale à Genève [3](même si elle est souvent pratiquée de manière illicite), mais de leur faire exercer leur profession dans les meilleures conditions possibles tout en posant les jalons pour un après.

En assurant une reconnaissance sociale à la prostitution, il devient plus facile de mettre en place un dialogue sur cette activité, au moins entre les travailleurs du sexe eux-mêmes. Aspasie organise régulièrement des repas réunissant les jeunes hommes et leurs partenaires et en profite pour aborder les questions de prévention. Lors de ces moments conviviaux, d’autres problématiques entourant leur situation de travailleur du sexe migrant sont aussi abordées avec les intervenants adéquats.

Pour assurer une prévention efficace en santé sexuelle, il faut donc encourager une approche globale qui valorise l’individu, lui permet de se projeter dans l’avenir, sans toutefois nier sa situation actuelle.

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Aspasie

Aspasie est une association créée en 1982 par des personnes prostituées pour défendre leurs droits. Ses locaux, situés au cœur du quartier des Pâquis, sont un espace ouvert à toutes et tous les travailleurs du sexe cherchant des informations, des conseils ou du soutien. Son action s’étend aussi à la prévention des infections sexuellement transmissibles. En plus d’une action directe auprès de cette population, Aspasie mobilise le réseau des professionnels de la santé et du réseau socio-sanitaire pour apporter les réponses les plus adaptées. Aspasie bénéficie du soutien de de la Ville de Genève.

Pour en savoir plus : http://www.aspasie.ch/

 

 

Article initialement paru dans Swiss Aids News publié par l’Aide Suisse contre le Sida avec le soutien de l’Office fédéral de la santé publique.

[1] Les Roms ne sont pas près de quitter Genève, Tribune de Genève, mars 2013, http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Les-Roms-ne-sont-pas-pres-de-quitter-Geneve/story/13720407

[2]Voir notamment, Premier résultat de l’enquête sur la santé des hommes gays de Genève, Dialogai, 2005, http://santegaie2005.thewarning.info/Resources/dialogai.pdf

[3] Loi sur la prostitution (LProst), https://www.ge.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_I2_49.html