« Transféminicides » au Brésil : les assassinats des personnes trans, signes de gynophobie plus que d’homophobie

berenice bentoUn décryptage de Berenice Bento, sociologue à l’Université de Brasilia and vice presidente de la Brazilian Homocultural Studies Association.

Au Brésil, la population trans (travestis, transsexuels et transgenres) est quotidiennement décimée. En règle générale, les meurtres commis contre les trans sont comptabilisés (de façon erronée, à mon sens) dans un comptage global de violences commises contre les LGBT.

Une politique d’élimination des trans

Je qualifie ces assassinats de transféminicides, au sens où l’origine de ces violences découle du genre (le concept de « feminicidio » a été employé initialement pour qualifier des assassinats en série de femmes mexicaines).
Selon l’ONG Transgender Europe, le Brésil est le pays dans lequel le nombre de meurtres de travestis et de transsexuels est le plus élevé au monde. Entre janvier 2008 et avril 2013, 486 morts ont été comptabilisés, soit quatre fois plus qu’au Mexique, le deuxième pays cité dans la liste en nombre de cas recensés. L’année 2013 dénombre 121 cas de travestis et transsexuels massacrés au Brésil. Ces chiffres mésestiment la réalité. Chaque jour nous parviennent, via les réseaux sociaux, des récits de jeunes transsexuels ou travestis sauvagement torturés et assassinés.

Le transféminicide se caractérise par une politique éparse, intentionnelle et systématique d’élimination de la population trans au Brésil, avec pour mobiles la haine et le dégoût. Combien de morts pour parvenir à cette conclusion ?

Une expression de la place du féminin dans nos sociétés

Au Brésil, aucune source d’information n’est totalement crédible. Il existe, au demeurant, grâce au relais de certaines ONG, un suivi d’activistes LGBT, ainsi que des articles de presse mentionnant la mort violente de telle ou telle personne LGBT. Dans ces articles, la personne trans, citée par son prénom masculin, est désignée comme « le travesti ».

Ces personnes, dans l’entendement conceptuel général, sont considérées comme des victimes de l’homophobie. Je pense, à l’inverse, que la mort des femmes trans est une expression hyperbolique de la place du féminin dans nos sociétés.

Une violence plus cruelle à l’égard du féminin

Si le féminin représente ce qui est dévalorisé socialement, quand ce féminin est incarné dans des corps nés avec un pénis, il se produit un débordement de la conscience collective, structurée autour de la croyance que l’identité de genre est l’expression du désir de chromosomes et d’hormones.

Quelle est la signification de ce débordement ? Qu’il n’existe pas d’appareil conceptuel, linguistique, justifiant l’existence des personnes trans. Même parmi les gays, il est notoire que la violence la plus cruelle est commise envers ceux qui performatisent une stylistique corporelle proche du féminin. Il existe, par conséquent, quelque chose de polluant et de contaminant dans le féminin (comprenant divers stades d’exclusion) qui mérite d’être plus sérieusement étudié.

Un processus d’exclusion de la naissance à la mort

Toute sa vie, la personne trans lutte pour se voir reconnaître un genre différent de celui imposé à la naissance ; pourtant, elle sera considérée homme lors de sa mort, et même la comptabilité des morts effectuée par les activistes n’insiste guère sur la dimension du genre. Il y a un processus continu d’élimination et d’extinction de la personne assassinée.

Le processus d’exclusion des personnes trans débute très tôt. Lorsque les familles découvrent que le fils ou la fille se rebelle contre la « nature », qu’il désire des vêtements et des jouets qui ne correspondent par à son genre, alors la réaction classique pour « le réparer » est le recours à la violence.

Le plus souvent, les personnes fuient le domicile familial entre 13 et 16 ans, trouvent ensuite dans la prostitution l’espace social qui leur permet de survivre financièrement et de construire des réseaux de socialisation.

trans mex

Six occurrences qui caractérisent le transféminicide

Dans une tentative liminaire pour caractériser le transféminicide, je suis parvenue à six occurrences :

1. La motivation de l’assassinat est le genre, non la sexualité de la victime. Comme nous savons, les pratiques sexuelles sont invisibles car elles se déroulent dans l’intimité, dans l’alcôve. Le genre, cependant, ne peut exister sans reconnaissance sociale. Il ne suffit pas de dire « je suis une femme », il est nécessaire que l’autre considère ce désir de reconnaissance comme légitime. Le transféminicide serait l’expression la plus puissante et la plus tragique du caractère politique des identités de genre. La personne est assassinée non seulement parce qu’elle rompt ses liens avec la destinée naturelle de son corps-générique, mais parce qu’elle le fait publiquement.

2. La mort ritualisée. Une balle fatale, un coup de poignard ajusté ou un viol létal ne suffisent pas. Les corps sont mutilés par des dizaines de coups de couteaux, par d’innombrables tirs. Les corps sont écartelés par le poids du véhicule qui les écrasent, à plusieurs reprises.

3. L’absence de poursuites pénales. Considérant qu’il s’agit d’une impunité absolue, l’on en déduit un désir social d’élimination de l’existence trans, en connivence avec l’État brésilien.

4. Les familles des personnes trans réclament rarement les corps. Il n’existe ni deuil, ni mélancolie.

5. Leurs identités de genre ne sont respectées ni dans le certificat du légiste, ni dans la préparation du corps, ni dans l’acte de décès. La personne assassinée réintègre le genre imposé, réitérant, de la sorte, le pouvoir du genre selon la loi qui organise et distribue les corps (vivants ou morts) dans les structures sociales.

6. Les morts se produisent dans des espaces publics, principalement dans des rues désertes, la nuit.

Je suggère de considérer que la principale fonction sociale de ce type de violence relève du spectaculaire, pour l’exemple. Les corps défigurés sont importants, dans la mesure où ils contribuent à maintenir la cohésion et la reproduction de la loi du genre, laquelle établit que nous sommes ce que nos organes génitaux déterminent. De la même façon que la société réclame des modèles exemplaires, des héros, les non-exemplaires, les parias, les êtres « abjects » sont également structurants pour un modèle de sujets qui ne doivent plus habiter la nation.