Droits LGBT au Liban : des juges confortent l’exception libanaise en contournant la loi

Dans un pays où les homosexuels sont largement plus tolérés que dans le reste du monde arabe, l’article 534 du code pénal, condamnant les «relations contraires à la nature», fait l’objet d’une jurisprudence sans précédent.

Manifestation pacifiste pour les droits des homosexuels à Beyrouth (Février 2009)
Manifestation pacifiste pour les droits des homosexuels à Beyrouth (Février 2009)

Le 29 janvier, un juge a acquitté une transsexuelle, inscrite dans le registre d’état-civil comme étant de sexe masculin et accusée d’«avoir des relations sexuelles contre nature» avec des hommes –une première dans le pays et dans le monde arabe. Le magistrat s’est fondé dans son jugement sur les dispositions de la constitution qui garantit «l’égalité entre tous les Libanais» mais aussi sur la résolution, non contraignante pour le Liban, du Conseil onusien des droits de l’homme du 17 juin 2011, prévoyant la «lutte contre les atteintes aux personnes sur base de leurs orientations sexuelles». Le texte va même plus loin, en évoquant la question de l’identité de genre. Il souligne que celle-ci ne peut être définie uniquement par des documents officiels, en référence au cas de transsexualité déféré au tribunal, mais qu’elle dépendait aussi de l’évolution de la personne et de sa propre perception de son sexe.

Cette décision fait écho à un autre jugement qui avait défrayé la chronique en 2009, lorsqu’un magistrat dans la région de Batroun, au nord de Beyrouth, avait décidé d’acquitter deux homosexuels en contournant, selon un procédé analogue, l’argument principal de l’article 534 du code pénal libanais qui interdit les relations sexuelles «contraires aux lois de la nature». Dans son jugement, le magistrat avait souligné que les relations entre personnes du même sexe ne pouvait être pénalisée par cet article, car «L’homosexualité est une exception aux règles, mais elle n’est pas contraire à la nature puisqu’elle fait partie de la nature (…) Elle  n’est donc techniquement pas illégale.»

«Ces deux jugements constituent une première au Liban et dans la région. En mentionnant la question de l’identité des genres, le dernier magistrat a même été plus loin que des pairs à lui dans des pays plus évolués», se félicite Georges Azzi, directeur de la Arab Foundation for freedoms and equality (AFEE). «En outre, ces deux jugements pourraient ouvrir la voie à un cas de jurisprudence qui annulerait techniquement les effets de la loi concernant l’homosexualité», ajoute-t-il.

En effet, si les tribunaux ne peuvent se substituer au pouvoir législatif, la jurisprudence leur permet, dans un cas non couvert par la loi ou lorsque celle-ci est imprécise, de s’appuyer sur une décision prise par une juridiction supérieure (Conseil constitutionnel, Cour de cassation, etc.) pour statuer.

Les ONG de défense des droits des LGBT misent donc désormais sur un travail de coordination et de lobbying avec des avocats et des juges, après avoir vainement tenté l’option parlementaire pour faire supprimer l’article 534. «Comment voulez-vous qu’une Assemblée qui n’a toujours pas légiféré sur la protection des femmes contre la violence domestique puisse amender une loi faisant indirectement référence à l’homosexualité?», lance Samira Kojok, porte-parole de Helem, la seule ONG au Liban et dans le monde arabe à défendre ouvertement les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT).

De surcroît, les défenseurs de la cause homosexuelle craignent qu’une nouvelle législation ne soit en défaveur des droits LGBT. «L’annulation de l’article 534 par le Parlement risque de pousser certains à réclamer qu’une nouvelle loi mentionnant explicitement les relations entre personnes du même sexe soit votée. C’est aussi la raison pour laquelle nous misons sur une juridiction (…). L’avantage de la loi actuelle réside justement dans le fait qu’elle ne spécifie pas les cas d’homosexualité ou de transsexualité, ce qui ouvre la voie à des interprétations subjectives (…) Encore faut-il qu’on puisse convaincre tous les juges du bien-fondé d’une telle démarche», ajoute la porte-parole de Helem.

Ces deux décisions juridiques viennent en outre conforter deux autres brèches dans le paysage médical. En 2012, l’Ordre des médecins a interdit la pratique des tests anaux, effectués sur certains hommes soupçonnés d’homosexualité. Cette décision était intervenue après le scandale provoqué par l’arrestation d’une trentaine de jeunes homosexuels durant cette même année (voir ci-dessous) et leur passage sous examen anal, baptisé «test de la honte» par de nombreux défenseurs des droits de l’homme.   Dans le même registre, la société libanaise de psychiatrie avait, dans un communiqué publié en juillet 2013, souligné que l’«homosexualité n’est pas un trouble mental» et qu’elle n’«implique aucune altération du jugement, de la stabilité ou des capacités sociales générales ou professionnelles». La société avait dénoncé à cet égard la «thérapie réparatrice», utilisée par de nombreux médecins au Liban pour modifier l’orientation sexuelle de leur patient.

Pour ne savoir plus sur l’évolution des droits des personnes LGBT au Liban, lire l’article complet dans CLASSE X OU Y, le fil Genre de Slate.fr