Les lois « anti-homosexualité » africaines ont leur source dans le mouvement « évangélique » américain

Le pasteur ougandais Martin Ssempa est connu pour s'être prononcé en faveur de la peine de mort pour les gays
Le pasteur ougandais Martin Ssempa est connu pour s’être prononcé en faveur de la peine de mort pour les gays

Lundi 24 février, le président ougandais promulguait une loi durcissant la répression de l’homosexualité, déjà pénalisée par l’emprisonnement à vie. Derrière cette législation, l’influence des églises évangéliques, très influentes dans le pays et à tous les niveaux de l’Etat, est palpable.

Eclairage avec Philippe Gonzalez

Sociologue et spécialiste de l’évangélisme

à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL

 

L’Ouganda vient d’adopter une loi controversée visant à pénaliser l’homosexualité. Derrière cette décision, de nombreux observateurs voient l’influence du courant évangélique. Quel processus a conduit à l’adoption d’une telle loi ?
Philippe Gonzalez : Les évangéliques dont nous parlons sont issus de la droite chrétienne américaine, un courant qui a une position extrêmement restrictive et répressive de l’homosexualité.

Tout a commencé en mai 2009. Trois lobbyistes évangéliques américains sont venus en Ouganda pour donner des conférences en se présentant comme des spécialistes de la « guérison des homosexuels ». Ils ont alors présentés leurs interventions comme une forme de prévention contre un « agenda gay » qui viserait à renverser les valeurs bibliques et à détruire la famille traditionnelle africaine. Un « agenda gay » qui, selon eux, serait promu par l’ONU ou l’Unicef.

Parmi ces activistes bien connus, on note la présence de Scott Lively. Ce dernier est l’auteur de « The Pink Swastika », sous-titré « l’homosexualité dans le parti nazi », qui est un manifeste anti-gay extrêmement violent. Scott Lively y avance des thèses assez délirantes selon lesquelles Hitler et son état-major seraient tous homosexuels et que le triangle rose dans les camps de concentration ne serait qu’un mythe.

Ces trois activistes sont issus de « ministères » américains, c’est-à-dire des organisations qui se donnent pour mission, dans ce cas précis, de guérir les homosexuels à partir de thérapie. Leurs conférences ont été suivies par la haute société ougandaise. Scott Lively, qui est considéré comme un extrémiste aux Etats-Unis, a même été invité par le Parlement ougandais pour faire un long discours de trois heures et ses propos ont retenti aux oreilles des autorités et des institutions du pays.

Un mois après ce cycle de conférences, le député ougandais David Bahati, relativement inconnu jusqu’ici, a proposé la loi anti-homosexualité dans une version extrêmement sévère qui prévoyait notamment la peine de mort.

Depuis août 2013, et grâce à l’activisme d’une ONG américaine, Scott Lively est poursuivi aux USA pour crimes contre l’humanité en raison de son activisme en Ouganda.

 

Comment les évangéliques perçoivent-ils l’homosexualité ?
Philippe Gonzalez : La plupart des évangéliques sont opposés à l’homosexualité qu’ils considèrent comme un péché et même, pour certains, comme une perversion.

Les homosexuels peuvent selon eux être guéris, la conversion étant une modalité de guérison. Associée à certaines pratiques thérapeutiques, la conversion permet selon eux de transformer des homosexuels en hétérosexuels. Des ministères se spécialisent alors dans ce genre de « thérapies ».

Derrière cette bataille contre l’homosexualité, il faut également voir la guerre culturelle que mènent ces évangéliques très politisés. Ce combat porte sur la préservation de la morale chrétienne. Puisque les évangéliques se sont rendus compte qu’ils ne parvenaient pas à peser aux Etats-Unis, ils ont alors décidé de diriger une politique expansionniste dans les continents où l’évangélisme parvient à percer. C’est-à-dire en Afrique, en Asie, en Amérique Latine.

En Afrique, ils vont essayer, et c’est particulièrement le cas de l’Ouganda, de créer la vitrine d’un Etat chrétien idéal.

 

Pourquoi l’Ouganda est-il un cas particulier ?
Philippe Gonzalez : A la chute de la dictature, de nombreux missionnaires sont partis en Ouganda pour aider à la reconstruction du pays. L’Ouganda est composé de 85% de chrétiens. 40% sont catholiques, les autres sont de tendance évangélique.

Certains mouvements évangéliques ont largement infiltrés les hautes sphères du pouvoir, dans l’armée, dans l’économie. La première dame du pays est elle-même très engagée dans ces mouvements.

Ce qui ne peut pas être fait aux Etats-Unis en raison de la sécularisation, les lobbyistes évangéliques peuvent le réaliser dans un Etat comme l’Ouganda.

Sous l’administration Clinton par exemple, l’Ouganda avait un taux de Sida extrêmement important. Les Etats-Unis ont envoyé une aide substantielle pour mener une campagne de prévention et de distribution de préservatifs.

Lorsque George W. Bush est arrivé au pouvoir, la droite chrétienne est parvenue à transformer cette campagne de prévention en mettant l’abstinence en avant, au détriment de la distribution de préservatifs. Le pays a suivi et l’Ouganda a été présenté comme l’Etat dans lequel l’abstinence était un succès. La réalité était toute autre et nous avons assisté à une augmentation des infections.

Il faut comprendre que c’est une véritable bataille idéologique qui se joue et l’Ouganda est instrumentalisé par la droite chrétienne américaine, présenté comme une nation bénie par Dieu pour illustrer ce à quoi devraient ressembler les Etats-Unis.

 

La perception de l’homosexualité par les Africains est-elle un terreau pour ce genre de discours ?
Philippe Gonzalez : Cette perception est assez ambiguë. L’homosexualité n’a pas forcément une connotation positive ou négative dans la culture africaine. Dans certains cas, la personne homosexuelle peut être considérée comme quelqu’un qui abriterait l’esprit d’un ancêtre du sexe opposé.

Dans ce cas, ces personnes peuvent donc être vues comme des sortes de médiums qui peuvent même apporter la prospérité au groupe.

A cette culture s’est ensuite ajoutée la strate du colonialisme britannique qui a apporté sa législation très homophobe.

Ensuite, grâce au travail des activistes de la droite chrétienne américaine, une troisième perception s’est ajoutée à cette culture. Ces derniers ont réussi à imposer un discours selon lequel une attaque contre la famille traditionnelle est une attaque contre les valeurs africaines.

 (Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press)

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