Homosexualité en Afrique : les pressions étrangères pourraient être « contre-productives »

drissa traore Drissa Traoré, vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et président d’honneur du Mouvement ivoirien des droits de l’homme (MIDH), revient, dans un interview au Monde  sur la réponse que la communauté internationale doivent apporter au vote par plusieurs pays africains de lois réprimant l’homosexualité.

Ce voyage du président français au Nigeria doit-il, selon vous, être l’occasion d’adresser un message ferme au président Jonathan sur le respect des droits des homosexuels dans son pays ?

On espère que le président François Hollande rappelera la position de la France sur cette question. Mais il n’est pas question de demander au Nigeria d’adopter, comme en France, une loi autorisant le mariage homosexuel. Le président Hollande doit être dans une démarche didactique et inviter le Nigeria à ne pas criminaliser l’homosexualité. Toute pression extérieure peut avoir des effets pervers. Il faut travailler progressivement avec les acteurs de la société civile pour que la population accepte les pratiques homosexuelles.

Ce travail est déjà difficile. La coopération française a, par exemple, financé une organisation de défense des droits homosexuels en Côte d’Ivoire. Et c’est ce qu’il faut faire, même si la réaction de la population est encore violente. Dans ce cas, la population a attaqué le siège de l’ONG et molesté ses membres. En Côte d’Ivoire, où l’homosexualité n’est pas pénalisée, certains défenseurs des droits de l’homme sont eux-même opposés à l’idée d’accorder des droits aux homosexuels, du fait notamment du poids de la religion. Il faut donc faire au préalable un travail auprès des ONG : aider les organisations de défense des droits des homosexuels et associer les organisations des droits de l’homme encore réticentes.

Au Nigeria, le fait même que la loi existe empêche les organisations qui voudraient travailler pour la promotion de la cause homosexuelle de le faire, car c’est assimilé à un soutien à des pratiques illégales. Cela provoque l’immobilisme des organisations de la société civile, qui doivent trouver des formules appropriées pour réussir à travailler.

Pensez-vous possible pour la communauté internationale de convaincre le président nigérian Goodluck Jonathan d’abolir la loi réprimant l’homosexualité ?

Pas dans l’immédiat. D’autant que le Nigeria entre dans une période électorale. Revenir sur cette loi populaire pourrait coûter au président et à son parti l’électorat musulman. C’est donc un travail de longue haleine à faire auprès du chef de l’Etat mais aussi et surtout de la société civile et de la population. Il convient avant tout de faire en sorte que la population n’aie pas de ressentiment envers les homosexuels et que les pratiques homosexuelles ne soient pas dénoncées, pour qu’en retour les autorités soient incitées à ne pas réprimer les homosexuels. 

Selon vous, la décision de plusieurs pays occidentaux de suspendre les financements à l’Ouganda après l’entrée en vigueur, le 24 février, d’une loi réprimant sévèrement l’homosexualité n’est donc pas le genre de réponse que doit apporter la communauté internationale ?

De telles réactions de la part des chefs d’Etat de pays occidentaux sont contre-productives. Les chefs d’Etat africains et leurs populations n’ont pas été sensibilisés à la question des droits des homosexuels. Un chef d’Etat qui combat ces idées dans son pays est populaire. En Ouganda, ces pressions vont attirer davantage de sympathie de la population pour son président, car ces pratiques ne sont pas approuvées au sein de la population.

Les Africains ont suivi les débats occidentaux sur les droits des homosexuels, et notamment le débat sur le mariage pour tous en France, et ils ne veulent pas que cela arrive chez eux. Ils ont le sentiment que les Occidentaux veulent progressivement leur imposer leurs idées : la démocratie, les droits de l’homme, et désormais les questions homosexuelles.

La pénalisation de l’homosexualité, qui concerne déjà 38 pays africains, peut-elle être étendue à d’autres pays ?

Cette tendance peut se confirmer ailleurs, notamment les pays de confession musulmane. Il y a des débats au Mali et au Sénégal notamment. Le débat n’est pas encore officiellement ouvert en Côte d’Ivoire mais, en octobre 2012, le ministre des droits de l’homme ivoirien a bien précisé, devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, que le pays n’était pas prêt à aller plus loin dans la reconnaissance des droits des homosexuels. La commission a une position claire et importante dans le sens de la promotion des droits des homosexuels.

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