Lors d'un des spectacles proposés au Maïak, l'établissement gay-friendly de Sotchi. © DR
Lors d’un des spectacles proposés au Maïak, l’établissement gay-friendly de Sotchi. © DR

À 35 ans, Andreï Tanitchev est l’autre star des Jeux olympiques de Sotchi. Depuis plusieurs semaines, de CNN à BFM TV, plus de deux cents médias l’ont sollicité. Pourtant, ce Russe bon vivant, qui aime arborer un large sourire, n’est pas un athlète. Il est l’un des copropriétaires du Maïak – littéralement « le phare » -, un établissement gay-friendly qui, selon l’intéressé, accueille « 80 % de gays et 20 % d’hétéros ». « C’est une boîte gay à l’origine, mais nous avons ouvert aux hétéros. Il reste quand même une salle réservée aux gays », tient-il à ajouter.

Originaire de la région de Sotchi, Andreï Tanitchev, qui se rêvait en artiste et designer, a travaillé comme barman lors de ses années d’études à Moscou. Progressivement, il gravit les échelons jusqu’à devenir manager d’une discothèque dans la capitale russe, le Central Station, toujours ouvert aujourd’hui. Avec son compagnon, il décide de retourner à Sotchi pour ouvrir le premier hôtel gay de la ville, puis une discothèque. Après dix ans à la tête de l’établissement, il se dit fier de son business et ne cache pas ses opinions sur le regard de la société russe vis-à-vis des homosexuels. Il s’en est expliqué longuement au Point.fr, par téléphone, juste avant d’entamer une nouvelle nuit de travail.

Vous êtes originaire de Sotchi, mais pourquoi avoir décidé d’installer votre établissement ici ? 
L’atmosphère ici est très différente des autres villes de Russie. D’abord à cause du climat subtropical où il fait bon, même en hiver, ce qui permet aux gens d’être plus détendus. Ils sont aussi plus tolérants, plus positifs : ce qui est commun à toutes les cités balnéaires. Quand nous sommes arrivés au début des années 2000, même nous, nous avons été surpris : il y avait une discothèque gay-friendly en plein air en plein coeur du centre-ville, juste à côté de la statue de Lenine, qui existait déjà pendant l’URSS. Pourtant, les gays s’y rendaient, il y avait des travestis et un sacré esprit de fête malgré le regard des autres et les menaces. C’était à peine croyable !

La situation a-t-elle changé avec les mesures de Poutine qui restreignent les droits des homosexuels ?
Il est impossible de décrire les changements qui ont eu lieu dans ce pays ces vingt dernières années juste à la lumière de l’évolution de la culture gay. C’est incroyable de voir à quel point la nouvelle génération a grandi au sein d’une société plus ouverte sur le monde, avec un vécu culturel plus important. Mais il est vrai que les autorités actuelles prennent parfois des décisions qui ressemblent à des pas en arrière dans le développement de la société.

Cela vous affecte-t-il ?
Je suis copropriétaire d’une discothèque et je peux juger seulement au regard du nombre de visiteurs. Et je n’en ai jamais eu autant que maintenant ! Il y a un peu plus de dix ans, aller dans un club gay était considéré comme un « exploit », un acte courageux tant il y avait de risques d’agression à proximité. Dans les petites villes comme Sotchi, où tout le monde se connaît, les gens avaient peur que leur venue dans ce genre de club puisse nuire à leur réputation. Désormais, les visiteurs qui viennent dans ces boîtes de nuit sont également des hétéros qui apprécient d’y faire la fête !

Justement, avez-vous eu des difficultés à rentabiliser la discothèque ?
Pas tant que cela, même si certains nous ont mis des bâtons dans les roues. Par exemple, certaines entreprises d’alcool, notamment de l’étranger, refusaient de nous livrer. Quand nous avons commencé, Pernod Ricard proposait une série limitée de vodka intitulée « Gay Absolute ». Elle était distribuée partout dans le monde, sauf en Russie, puisque, d’après l’entreprise, nous ne « collions » pas avec la cible. Je ne pense pas que ce sont les gens qui sont à la tête de l’entreprise qui sont à condamner, mais leurs représentants locaux, qui avaient clairement une attitude homophobe. Mais, heureusement, la situation s’est grandement améliorée depuis.

Pourtant, de nombreux témoignages montrent la difficulté d’assumer son orientation sexuelle dans la Russie d’aujourd’hui…
Je pense que les nouvelles lois de Poutine ont surtout influencé les organisations de défense des droits de l’homme, et en particulier celles qui défendent les homosexuels. Certes, la plupart sont affectées par ces dispositions. Mais la situation n’a rien à voir avec le temps de l’URSS où il était impossible de montrer son amour pour une personne de même sexe sous peine d’être mis en prison. En ce temps-là, les déportations et les suicides des homosexuels étaient monnaie courante. Désormais, il y a bien plus de liberté pour les gays, et mon établissement le prouve. Je vis dans une petite ville et je n’ai jamais caché mon orientation sexuelle. Certes, nous n’avons pas de drapeau gay sur la devanture de notre discothèque. Mais nous en avons suffisamment à l’intérieur et, surtout, il vous suffit de demander à n’importe quel chauffeur de taxi la boîte gay et il vous emmènera ici.

Avec les Jeux olympiques, la discothèque n’a pas désempli. Les athlètes sont-ils nombreux à venir ?
Bien sûr, nous avons même formé notre personnel afin qu’il maîtrise l’anglais. Des athlètes viennent faire la fête chez nous, des Canadiens, des Américains – dont certains voyaient leur présence comme un acte militant – et une multitude d’autres nationalités.

Propos recueillis par  Antoine Grenapin (Le Point)