Mariage gay: pourquoi le buzz touche le monde entier

Le synchronisme est frappant.
Alors que les débats de la cour suprême américaine sur le mariage gay provoquent des phénomènes mondiaux sur les réseaux sociaux, alors que le projet de loi est de retour en France à l’occasion de son examen au Sénat depuis jeudi, deux jours plus tôt, c’était à l’autre bout du monde, en Uruguay, que les sénateurs ont approuvé le projet de loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe. À l’instar de ce qui se passera bientôt en France, la loi devra être revotée par les députés du pays à la suite d’amendements apportés au texte.
Mais au-delà de la mécanique législative, c’est en réalité un véritable mouvement de fond, une tendance mondiale qui se dessine dans une poignée de pays en faveur du mariage entre personnes du même sexe.

Alors 2013, année gay? Sans doute. Car sur le mariage gay, le soleil ne se couche jamais.
En Nouvelle-Zélande, le texte autorisant le mariage entre personnes du même sexe a été voté une seconde fois le 13 mars et devrait être finalement adopté en avril 2013.
Aux Etats-Unis, la Cour suprême rendra ses conclusions en juin alors que depuis le 1er janvier, neuf États ont ouvert le mariage civil aux personnes de même sexe.
En Grande-Bretagne, le mariage gay a été adopté à la chambre des Communes par 400 voix contre 175 le 5 février. Son futur vote par la chambre des Lords ferait presque figure de formalité.

Des Amériques à l’Europe en passant par l’Océanie, le buzz est donc bien mondial. D’autant plus que d’autres pays, onze en totalité, l’ont déjà adopté.
Ouverture de bal en 2001 aux Pays-Bas – qui avaient déjà mis en place une union civile en 1998, un an avant notre Pacs – suivis par la Belgique en 2003, puis l’Espagne et le Canada en 2005.
Viendront ensuite la Norvège et de la Suède en 2009.
En 2006, ce sera au tour de l’Afrique du sud, où l’orientation sexuelle est inscrite dans le marbre de sa constitution.
Quatre ans plus tard, c’est l’Argentine qui fera figure de porte-flambeau pour l’Amérique du sud talonnée par le Brésil l’année suivante et le Mexique.

Mais comment expliquer cette nouvelle vague qui touche l’année 2013?

Qu’il s’agisse de la Nouvelle-Zélande, de la France ou de la Grande-Bretagne, un événement peut-être plus que tout autre, aura marqué l’année 2012.
Lorsque Barack Obama a annoncé au terme de son premier mandat qu’il soutenait le mariage gay, le président de la première puissance mondiale a donné l’élan nécessaire aux militants homosexuels du monde entier, y compris en France.
En Grande-Bretagne c’est un autre dirigeant David Cameron, le plus jeune premier ministre depuis 1812, qui a joué un rôle déterminant. Témoin du relatif consensus dont le mariage gay fait désormais l’objet en occident, cette déclaration de David Cameron qui restera dans l’Histoire: « Je ne soutiens donc pas le mariage gay en dépit de mes opinions conservatrices, je soutiens le mariage gay parce que je suis conservateur, » avait-il répondu aux parlementaires les plus réticents au sein de son propre camps.
Barack Obama et David Cameron, deux leaders jeunes, symbole d’une nouvelle génération de dirigeants. L’un comme l’autre ont pris parti lors de leur premier mandat. Manière de mobiliser autour d’une idée progressiste en vue d’une réélection pour le premier. Façon de d’entériner une promesse de campagne pour le second. Avantage de ces réformes: en période de crise, elles ne coûtent rien. D’autant plus que l’opinion y est majoritairement favorable, y compris aux Etats-Unis où la tendance s’est inversée pour la première fois fin 2010.

Les données du World Values Survey, qui rassemble depuis une trentaines d’années 1980 les résultats de sondages d’opinions d’une centaine de pays, témoignent de cette évolution des représentations qui touche le monde entier.

En 1993 par exemple, 59% des sondés au niveau planétaire estimaient que l’homosexualité n’était pas « justifiable ». 13 années plus tard, ce chiffre n’atteignait plus que les 34%. Une évolution certes dopée par certains pays du nord, mais pas seulement.
Exemple avec l’Argentine. En 1984, près de 60% des argentins considéraient que l’homosexualité était « injustifiable ». En 2006, seuls 25% d’entre eux avaient encore cette opinion. Entre temps et à partir des années 2000, de nombreux pays ont légalisé le mariage civil entre personnes du même sexe.

Alors qu’est-ce qui a provoqué ce changement radical de perception au niveau mondial? La réponse est évidemment multiple.
On peut citer à la volée le sida et bien évidemment les progrès de la médecine qui ont permis aux femmes lesbiennes d’avoir des enfants grâce aux donneurs de sperme. Mais cette évolution doit beaucoup à la mobilisation de la communauté homosexuelle dans tous les pays, sans oublier un grand nombre de productions culturelles avec des films bien sûr, comme Brokeback Mountain, ou encore l’émergence d’une sous-culture gay.

Autant de phénomènes que le chercheur et écrivain Frédéric Martel a analysé dans son dernier ouvrage, Global Gay, Comment la révolution gay change le monde (éd. Flammarion).

France, Uruguay, Etats-Unis, Grande-Bretagne, comment expliquer ce buzz autour du mariage gay cette année? On pourrait ajouter à votre liste la Colombie, la Finlande, le Luxembourg, la Nouvelle Zélande et même Taïwan où le débat existe! Il y a en effet un « momentum » sur cette question. Pourquoi? Disons qu’il y a l’effet Obama et américain, le modèle durable d’influence sur la question gay à travers le monde. Le contexte des années sida et, plus largement, le passage d’une revendication radicale à une socialisation qui se traduit par une demande de droits. Celle-ci est commune à toutes les minorités: en cela le mouvement gay prend en quelque sorte la relève du mouvement des femmes et du mouvement noir. Obama a cité trois symboles dans son discours d’investiture après sa réélection en janvier dernier: « Seneca Falls, Selma et Stonewall ». C’est une formule magnifique qui lui permet de relier trois dates clés: le mouvement des femmes américain en 1848; une date clé de la libération noire en Alabama en 1965 et Stonewall, le tournant de l’histoire du mouvement gay. Le parallèle entre les trois questions est symboliquement essentiel. Et on est en train de passer, en occident, de la pénalisation de l’homosexualité à la pénalisation de l’homophobie. Reste que les problèmes demeurent. Ailleurs dans le monde, la situation est parfois difficile (comme en Asie ou en Russie) et quelquefois même terrible (au Moyen-Orient, en Afrique évangéliste).
Pourquoi certains pays du sud comme l’Argentine nous ont-ils damé le pion sur le mariage gay? J’ai co-organisé la soirée de défense du mariage pour tous en janvier au Théâtre du Rond-Point et, à cette occasion, nous avons reçu une lettre de soutien de madame Kirchner, présidente d’Argentine en faveur de la loi française sur le mariage pour tous. C’est Manuel Valls qui l’a lue sur scène, en espagnol avant de la traduire en français. C’est en effet tout un symbole. Pour la première fois peut-être, un grand pays du « Sud » donne des leçons à l’Europe sur la question des droits de l’homme. Ca devrait faire réfléchir les opposants à la loi. Et c’est bien d’ailleurs le débat: veut-on être avec l’Argentine, l’Afrique du Sud, le Mexique, le Canada, l’Europe occidentale pour défendre les droits des homosexuels et des couples de même sexe; ou avec le Vatican homophobe, l’Iran, l’Arabie Saoudite ou l’Afrique évangéliste pour criminaliser l’homosexualité?
Historiquement, le mariage gay n’a pas été une revendication très forte des homosexuels, c’est plutôt récent… Absolument. Au Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), à partir de 1971, les activistes voulaient détruire le mariage ! Même chose d’ailleurs au Mouvement de Libération des Femmes (MLF) de cette époque. Je pense que, comme pour les femmes justement, ou comme pour les Noirs ou plus récemment les Français issus de l’immigration, on passe d’un mouvement de contestation radicale à un mouvement de revendications concrètes au fur et à mesure qu’une minorité devient adulte. Le sida, les inégalités pour les couples hétérosexuels et homosexuels, le succès du PACS, tout cela a conduit à penser au mariage.
Et l’opinion évolue dans le monde entier… Qu’est-ce qui explique le caractère mondial de cette tendance? La « libération » gay, avec de gros guillemets, est le résultat de nombreuses actions. Les activistes, les gay prides, ont été essentiels. Mais les avocats, les cinéastes, les artistes en général, les animateurs de télévision, etc. nombreux sont les acteurs qui ont joué un rôle. N’oublions pas non plus les patrons de bars gays et les patrons de sites webs, tant il est vrai que le commerce est un facteur essentiel, autant que le militantisme. Au final, c’est un long processus qui s’appuie sur des nombreux types de prescripteurs sociaux. Je suis actuellement en Egypte, d’où je réponds à vos questions, et je constate ici – un pays très difficile pour les droits des gays – qu’il y a, au Caire, plusieurs bars gays, des sites gays, des soirées gays chaque semaine : une vie gay souterraine certes, menacée aussi, mais bien vivante. Toute une contre culture forte, underground, qui permet de vivre mieux son homosexualité qu’ailleurs dans le monde arabe, même si ça reste très compliqué.
Sur Internet on voit des sites comme Allout qui servent à mobiliser au niveau global contre l’homophobie. Quel rôle joue justement internet? Pour moi, le modèle n’est pas AllOut, que j’aime plutôt bien, mais qui demeure dans l’activisme disons « occidental ». Ce qui est essentiel, ce sont les millions de personnes – je dis bien millions – qui vont chaque jour sur des sites gays en Chine, en Inde, en Iran, en Afrique, pour dialoguer, connaître des amis, avoir des amants, bref toute une socialisation des rencontres qui est un phénomène majeur et absolument sous-estimé. Par ce biais, une révolution est bel et bien en cours. Celle-ci suscite naturellement ses oppositions et même parfois une véritable homophobie digitale en forte hausse. Il y a des résistances locales fortes – Asie musulmane, Moyen Orient musulman, Afrique évangéliste surtout – et même parfois un backclash. Mais l’histoire avance.
Quel regard l’auteur de Global Gay porte-t-il sur la nature du débat en France? Le débat est sain dans une démocratie. Les homosexuels ne doivent pas le fuir, ni surestimer l’opposition que la loi suscite. Fuir le débat serait montrer une faiblesse. Il est légitime qu’il y ait des désaccords (et d’ailleurs des aspects très techniques de la loi suscite des débats au sein même de la communauté gay). Le Parlement est fait pour que le débat ait lieu, pour que les désaccords s’expriment. Mais 300.000 personnes – tout chiffre supérieur à 500.000 est mensonger et même grotesque – dans les rues de Paris ne représentent pas toute la France. C’est une grosse minorité, mais une minorité tout de même. David Cameron, le Premier ministre anglais conservateur défend le mariage parce qu’il est, dit-il, « conservateur » ! L’UMP devrait se rendre compte de son erreur. Et d’ailleurs, depuis que les opposants manifestent, on est passé de un peu moins de 60 % à presque 70 % d’opinion favorables pour cette loi. La PMA n’y figure pas ; et la GPA (Gestation pour autrui, ou mères porteuses) n’est pas à l’ordre du jour – et d’ailleurs les gays sont souvent hostiles à la GPA. Donc le débat va devoir prendre fin et la loi être votée. Je regrette que le retour à l’Assemblée nationale en seconde lecture n’ait lieu que le 27 mai. Il faudra ensuite une seconde lecture au Sénat, puis si le texte n’est pas voté de manière conforme une commission mixte paritaire etc. Cela risque de nous amener jusqu’à l’été. Mais la loi sera votée.
Interview : Le HuffPost ( par  Stanislas Kraland)