Examen Périodique Universel et droits LGBTI : le cas de l’Indonésie

Yuli Rustinawati, que la plupart de ses amis appellent Ye, est l’une des cofondatrices et présidente d’Arus Pelangi, une organisation nationale LGBTI d’Indonésie, et l’une des dirigeantes du Forum LGBTIQ Indonesia. Elle est titulaire d’un diplôme en économie et est membre de la PBHI (Association indonésienne d’aide juridique et des droits humains). En 2005, elle a prêté main forte au réseau pour des élections libres de l’ANSEA en tant qu’observatrice aux élections parlementaires en Afghanistan (Article Ilga.org).

Patricia Curzi (gauche) et Yuli Rustinawati (droite) lors de l’EPU à Genève

Patricia Curzi, responsable de l’ILGA pour l’ONU, a interviewé Yuli lors de leur présence commune au dialogue interactif avec l’Indonésie, à Genève en mai 2012. Yuli à son tour a posér des questions à Patricia en tant que représentante de l’ILGA.

Vous et votre équipe d’Arus Pelangi avez été impliqués dans la contribution jointe des ON

G pour le premier Examen Périodique Universel (EPU) de l’Indonésie. Qu’est-ce qui vous a convaincus de participer au processus de l’EPU ?Arus Pelangi travaille depuis cinq ans avec des organisations militant pour les droits humains, et participer à ces mouvements nous a rendus plus forts. De plus, de nombreuses agressions contre les personnes LGBT se sont produites en Indonésie durant les deux dernières années, dont le démantèlement de la conférence de l’ILGA pour l’Asie à Surabaya en mars 2010, l’attaque par le Front de défense islamique d’une séance de formation aux droits humains pour les personnes transgenres menée à huit clos et organisée par la Commission indonésienne pour les droits humains en avril 2010, les manifestations du groupe islamiste fondamentaliste aux séances du festival de film Q! à Jakarta et Yogyakarta en octobre 2010 – et les célébrations de l’IDAHO (Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie) à Jakarta en 2011 ont été perturbées.
C’est la première fois que Arus Pelangi participe à l’EPU et nous avons immédiatement accepté lorsque des groupes militant pour les droits humains nous ont proposé de rassembler des informations sur les incidents liés aux personnes LGBT et de militer ensemble en préparant une contribution jointe des ONG pour l’EPU.

Quels ont été les principaux défis pour votre organisation lors de sa participation au processus de l’EPU ?

Le principal défi pour Arus Pelangi a été de rassembler des informations fiables sur les cas de violences et de discrimination dont sont victimes les personnes LGBT. Et comme c’était la première fois que nous participions à ce processus, nous n’étions pas sûrs de ce que nous devions faire en plus de la rédaction d’un rapport. L’aide apportée par les groupes militant pour les droits humains et par l’ILGA a été très précieuse pour rendre le plus efficace possible le travail effectué autour du contenu de ce rapport, dont le lobbying vis-à-vis de gouvernements pour la présentation de recommandations sur les questions LGBT et, après le dialogue interactif, faire le suivi afin que les recommandations proposées soient acceptées par l’Indonésie.

Quelles activités de lobbying avez-vous menées en Indonésie pour faire connaître ce rapport et plus spécifiquement les questions LGBT ?

Avant le dialogue interactif entre l’Indonésie et les autres états, qui s’est déroulé à Genève le 23 mai 2012, nous avons envoyé la contribution jointe des ONG à de nombreuses ambassades et à la représentation de l’UE à Jakarta. Nous avons organisé trois réunions d’information diplomatiques avec les ambassades de six pays : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Mexique, le Japon, la Norvège et le Maroc. Un représentant d’un groupe de Nouvelle-Zélande est venu dans nos bureaux et a promis d’encourager son gouvernement à parler des questions LGBT avec l’Indonésie. Nous avons également organisé une réunion avec l’ambassade des États-Unis, et avec l’organisation Protection International, nous avons rencontré le représentant suédois à Jakarta.
Enfin, nous nous sommes adressés aux médias nationaux (Tempo, Jakarta Globe) et nous avons tenu une conférence de presse pour faire connaître l’EPU et aborder les questions mentionnées dans ce rapport. Plusieurs articles ont été publiés sur l’EPU de l’Indonésie, même si les questions LGBT n’ont pas été évoquées.

Le fait de vous trouver à Genève lors du dialogue interactif entre l’Indonésie et les autres états vous a-t-il été utile ?

Grâce à notre présence à Genève, soutenue par l’ILGA, nous avons pu mieux comprendre comment fonctionne le système de l’EPU et comment les organisations de la société civile peuvent avoir un impact sur la politique d’un gouvernement. Nous avons été un peu déçus par le fait que, juste après le dialogue interactif entre l’Indonésie et les autres états, seulement deux d’entre eux aient fait mention des questions LGBT (l’Espagne et la Suisse). Mais la réunion intitulée « Voix de la base : Évaluer le développement des droits humains en Indonésie grâce à l’EPU », que nous avons organisée en marge juste après, a été un succès : 50 personnes y ont participé, dont les missions de l’Inde, la Norvège, la Roumanie, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas. Nous avons également pu, avec l’ILGA, avoir une discussion avec le représentant belge. Ces rencontres peuvent constituer les germes d’actions pour l’avenir et nous nous assurerons de rester en contact avec les pays engagés sur les questions LGBT.

Quelles expériences personnelles souhaiteriez-vous partager avec les groupes LGBT pour les encourager à participer au processus de l’EPU ?

Je leur conseillerais de coopérer avec des organisations militant pour les droits humains au niveau national, même si je suis consciente que cela n’est pas toujours facile. Mais maintenant que j’ai assez d’expérience, je me rends compte qu’avoir travaillé avec ces groupes a rendu plus facile notre travail dans notre pays et même à Genève.
Sur une note plus personnelle, j’aime Genève, c’est une ville qui est petite, tranquille et propre, contrairement à Jakarta, qui est toujours encombrée par la circulation. Mais Genève est plus chère que Jakarta. Genève a un très beau lac, mais je n’ai pas vraiment pu en profiter. J’ai pu le voir et en profiter quelques minutes pendant que je faisais la queue pour le repas ou un café au bar Le Serpent du bâtiment des Nations-Unies. Je n’ai pu profiter de la beauté de Genève que du bus ou du tram sur le trajet entre mon hôtel et le bâtiment de l’ONU. La même chose avec le célèbre chocolat, je n’ai pas eu l’occasion d’en manger. Ohh, pauvre de moi ! Mais le dernier jour de mon séjour à Genève, avant les recommandations de l’examen de l’Indonésie, notre groupe a été dans un supermarché et j’ai enfin acheté du chocolat pour mes amis de Jakarta. J’espère pouvoir revenir à Genève et avoir plus de temps pour profiter de cette belle ville.

 

Et maintenant… Yuli Rustinawati interroge Patricia Curzi.

Pourquoi l’ILGA a-t-elle invité un représentant d’Arus Pelangi à assister à l’EPU à Genève ?

L’ILGA s’est impliquée dans le mécanisme de l’EPU depuis un moment et essaie d’aider ses membres à toutes les étapes du processus, en coopération avec les autres ONG travaillant à l’ONU, en particulier en fournissant des informations avant le dialogue interactif avec les autres états. L’ILGA participe sur demande à la rédaction du rapport des ONG et à la prise de contact avec la représentation de l’UE et les missions des gouvernements à Genève. Quand des financements sont disponibles, l’ILGA soutient également la présence de militants à Genève pour des activités de lobbying et le suivi de celles-ci.

Quand nous avons reçu la contribution jointe des ONG pour l’Indonésie, nous avons été impressionnés par sa qualité et par le fait qu’un chapitre entier était consacré aux questions LGBT, étant donné que 14 groupes militant pour les droits humains ont participé à ce rapport. L’Indonésie est l’un des pays du Sud-Est asiatique les plus peuplés, et nous espérons voir le respect des droits LGBT avoir autant de succès que le développement économique du pays.

Que pensez-vous de l’implication de Yuli en tant que représentante d’Arus Pelangi dans le processus de l’EPU à Genève ?

Yuli a participé à toutes les activités, à toutes les manifestations et actions de lobbying menées à Genève par les groupes militant pour les droits humains qui sont venus pour l’examen, dont des rencontres avec les représentants du gouvernement indonésien, des discussions à propos de l’examen de l’Indonésie avec diverses missions, et une intervention lors de la réunion en marge de l’EPU indonésien. L’organisation de cette réunion en marge après l’EPU de l’Indonésie était une excellente idée. Environ 50 personnes y ont assisté, dont des représentants de diverses missions. Le dévouement de toute l’équipe de militants pour l’organisation, la promotion et la gestion de cette réunion a été remarquable. Le fait que Yuli ait été invitée à intervenir pour aborder les questions LGBT est la preuve que les droits LGBT sont considérés comme des droits humains par un vaste éventail d’organisations de la société civile indonésienne. Yuli a abordé ce point précis très clairement. Yuli est pleine d’enthousiasme, s’est bien préparée, et a un excellent sens de l’humour. Ça a été un vrai plaisir de travailler avec elle.

Quelles sont les attentes de l’ILGA pour l’avenir ?

D’ici le prochain examen de l’Indonésie dans quatre ans et demi, l’ILGA, ainsi que d’autres groupes militant pour les droits humains, aimerait un suivi supplémentaire des recommandations faites à l’Indonésie, celles qui ont été acceptées et celles, espérons-le peu nombreuses, qui ont été rejetées. Conservez intact l’enthousiasme dont vous avez fait preuve, car nous pensons que la session interactive de l’EPU avec les autres états à Genève n’est que le début d’une longue route vers la reconnaissance des droits humains en Indonésie.


L’Examen Périodique Universel (EPU) est un instrument de surveillance des droits humains par les pairs, créé par les Nations Unies en 2006. Un premier cycle pour tous les pays s’est terminé en 2011, et le deuxième cycle a commencé en juin 2012, 42 états par an faisant l’objet d’un examen par d’autres états. En quatre ans et demi, les 193 membres des Nations Unies auront tous été examinés. L’examen se compose de quatre étapes principales : rédaction de rapports, dialogue interactif entre les états membres, adoption du résultat des recommandations et mise en œuvre et suivi. Chaque procédure implique des états, des ONG internationales et nationales, des instituts nationaux des droits humains et d’autres parties prenantes.
En 2012, la 13ème session de l’EPU a procédé à l’examen de l’Indonésie ainsi que de 14 autres pays. Les rapports des ONG doivent être soumis sept mois avant la session même.

Versions en anglais, espagnol et portugais de cette interview sur le site de l’ILGA