Dialogai, association homosexuelle genevoise, gère Checkpoint Genève, le centre de santé pour hommes gays et bisexuels. L’association, qui fêtera ses 35 ans en 2017, soutient une approche globale de la santé devant permettre de rattraper l’écart en matière de santé qui existe entre son public cible et la population masculine en Suisse.

 

La santé des hommes gays et bisexuels ne se limite pas aux problèmes liés au VIH et aux autres infections sexuellement transmissibles (IST). Maintenant que les conséquences dramatiques d’une infection par le VIH peuvent être écartées grâce à des traitements efficaces, il est possible d’agir sur d’autres aspects de la santé de cette communauté. L’université de Zurich et Dialogai ont réuni lors des enquêtes du projet Santé Gaie[1] des données précises sur lesquelles se fonde la stratégie de l’association. Les inégalités en matière de santé et de bien-être qui affectent les hommes gays et bisexuels doivent être combattues pour leur assurer des niveaux équivalents à ceux de l’ensemble de la population. Pour y parvenir, une approche globale de la santé est nécessaire et doit dépasser le cadre des prestations individuelles pour inclure des actions communautaires et une mobilisation des acteurs sanitaires et sociaux.

Importance des relations affectives

Les données épidémiologiques sur le VIH et les IST montrent que le groupe cible des hommes qui ont du sexe avec des hommes (HSH) reste un groupe prioritaire pour la prévention. Près de 60% des nouveaux cas diagnostiqués d’infection par le VIH chez les hommes concernent les HSH alors qu’ils sont minoritaires dans la population. La situation pour les autres IST est similaire. Le centre de santé de l’association, Checkpoint Genève (voir encart), assure à ce niveau des prestations de dépistage, traitement et suivi dont l’efficacité a été reconnue par les autorités fédérales. Le contexte favorable au dialogue offert par le centre assure que la prise en charge de l’usager corresponde à son mode de vie et vise à lui permettre de faire ses choix en toute connaissance de cause[2]. Cependant, la prévalence des infections dans cette population, la nature des rapports et notamment la pratique anale, ainsi qu’un nombre de partenaires en moyenne plus important que chez les hétérosexuels maintiennent les IST à des taux élevés.

La révolution dans le traitement du VIH remonte à 1997 quand les trithérapies ont été introduites. Depuis, l’arsenal des réponses possibles se développe. La prophylaxie post exposition (PEP) permet, dans certaines conditions, d’éviter une infection par le VIH à la suite d’une prise de risque. La prophylaxie pré-exposition (PrEP) récemment introduite en Suisse permet de prévenir les infections par la prise de certaines des molécules de la trithérapie avant une exposition au VIH. Ainsi, même si le prochain progrès majeur devra attendre un éventuel vaccin ou un autre traitement permettant d’éliminer le virus de l’organisme, le dispositif se complète pour parer à un plus grand nombre de situations.

La communauté gay s’approprie progressivement ces possibilités mais l’information doit encore être diffusée. Il en va de même pour le «Swiss statement» du Professeur Hirschel de 2008: une personne séropositive, prenant régulièrement son traitement et dont la charge virale est indétectable ne peut pas transmettre le virus dont il est porteur[3]. L’Aide Suisse contre le Sida (ASS) a d’ailleurs mis en place une campagne spécifique d’information à destination des HSH: #undetectable[4]. Au-delà des prestations individuelles en matière de dépistage et de traitement, il faut donc aussi porter une attention particulière à l’information de la communauté pour qu’elle intègre les évolutions.

Mais la prise en charge des IST ne sont qu’un aspect de la santé sexuelle. L’Organisation Mondiale de la Santé la définit comme un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité[5]. Les résultats des enquêtes du projet Santé Gaie montre que dans ce domaine beaucoup reste à faire. La donnée la plus révélatrice est sans doute les causes perçues lors des dépressions et des tentatives de suicide: quel que soit l’âge considéré, les difficultés à établir des relations épanouissantes et l’acceptation de son homosexualité figure dans les trois réponses les plus souvent invoquées.

La santé mentale, une priorité

Loin devant les IST, les hommes gay et bisexuels souffrent de troubles psychiques. Anxiété et dépression cliniques sont surreprésentées dans des proportions alarmantes. 20% des hommes gays ont fait une tentative de suicide durant leur vie et 75% d’entre eux avant l’âge de 25 ans. Les causes sont multiples mais l’homophobie, l’hétérosexisme et l’homophobie intériorisée sont très vraisemblablement impliqués. Lutter contre les préjugés et assurer l’égalité des droits sont donc une façon d’améliorer la santé de la communauté. Au niveau individuel, l’ouverture des consultations en santé mentale à Checkpoint Genève répond à un véritable besoin. Ici encore, le cadre des consultations avec des professionnels-les gay-friendly permet d’aborder sans détour les difficultés auxquelles doivent faire face les hommes gays et bisexuels.

L’homophobie intériorisée est souvent à l’origine de ces difficultés qu’elle soit consciente ou pas. Elle se traduit par une faible estime de soi, un faible sentiment de contrôle sur sa vie, voire du dégoût ou de la honte pour sa propre personne. Elle reflète donc les préjugés sur l’homosexualité encore présents dans la société. Les hommes gays et bisexuels ressentent en effet très tôt, souvent dès l’enfance, l’écart qui existe entre eux et les modèles que propose la société. Les années qui suivent jusqu’à la fin de l’adolescence sont souvent des années de solitude où même la famille n’est pas un refuge comme c’est le cas pour les minorités ethniques ou religieuses. A l’âge adulte, il en résulte des troubles psychiques, mais aussi une image de soi dévaluée qui favorisera des prises de risques et des comportements défavorables en matière de santé. Il est triste de noter que ce mauvais état de santé se retrouve encore aujourd’hui chez les adolescents, ce qui indique que les progrès de la situation légale et sociale des homosexuels ne sont pas encore suffisants et ne ce sont pas encore traduits en actes.

Agir sur ces problèmes psychiques est un enjeu majeur aujourd’hui, car en plus de leurs propre conséquences, ils sont responsables de comportements à risque pour la santé: relations sexuelles ne suivant pas le safer sex, consommation abusive d’alcool ou de drogue, tabagisme… Proposer des consultations de psychiatrie et des psychothérapies permet de désamorcer des situations à risque pour tous les aspects de la vie. Celles-ci doivent être complétées par des mesures communautaires telles que le programme d’information sur la dépression et la prévention du suicide: blues-out[6].

Pour être efficace, cette offre de service doit encore rencontrer son public. Selon les données des enquêtes de l’association, 90% des hommes interrogés se considèrent comme étant en bonne ou très bonne santé, alors que dans quasiment tous les domaines de santé leur situation est moins bonne que pour la population masculine. Ce paradoxe peut sans doute être expliqué par une image dévalorisée ou une habitude à la souffrance développée dès le plus jeune âge. La sensibilisation de la communauté à la réalité de sa santé doit donc intégrer l’arsenal des réponses.

Sensibiliser les réseaux traditionnels

En prenant en charge la santé sexuelle et mentale des hommes gays et bisexuels tant au niveau des prestations individuelles que de l’information à la communauté, Dialogai couvre une grande partie des problèmes. Cependant, de nombreuses personnes ne souhaitent pas intégrer un réseau de soins communautaire et s’orientent vers les structures ouvertes à l’ensemble de la population. Assurer la sensibilisation des professionnels-les de santé aux spécificités des hommes gays et bisexuels est le dernier axe à prendre en compte pour réaliser les objectifs stratégiques que l’association s’est fixés.

La même synergie doit également s’intégrer au fonctionnement du centre communautaire. Il n’y aurait pas beaucoup de sens à intégrer toutes les spécialités médicales à Checkpoint. Celles que les enquêtes définissent comme essentielles et devant bénéficier d’un traitement communautaire seront progressivement intégrées, mais le renvoi vers des services spécialisés existants doit aussi être assuré par le centre. Ainsi, les problèmes de tabagisme, d’alcoolisme ou d’addiction bénéficient tous de structures spécifiques où une prise en charge de qualité peut être assurée, dès lors qu’une sensibilisation préalable à la santé gaie a eu lieu.

En se dotant dès 2017 de médecins généralistes, Checkpoint Genève achèvera de compléter son offre pour les hommes gays et bisexuels en prenant en charge tous les aspects biopsychosociaux de la santé. Les questions ne pouvant être réglées par le centre pourront être orientées vers des services de santéappropriés, assurant ainsi la cohérence de la prise en charge de son public cible.


Checkpoint Genève – le counseling global

Le counseling global OMS|2030 de Checkpoint Genève place l’usager HSH au centre d’un processus motivationnel qui le rend expert de sa propre santé sexuelle. L’expert en counseling crée une dynamique de prévention globale reposant sur quatre piliers. Deux piliers concernent la santé physique: VIH et IST. Deux autres piliers concernent la santé psychique: repérage précoce de l’anxièté et de la dépression; des consommations de produits psychoactifs et d’éventuels comportements liés à l’addiction.

Le counseling global:


[1]
                        Projet Santé Gaie, les premiers résultats sur la santé des hommes gays de Genève, Dialogai, 2003, http://www.dialogai.org/services/publications/brochure-sante-gaie/

[2]
                        Voir « Checkpoint Genève – le counseling global » en fin d’article

[3]
                        http://www.saez.ch/docs/saez/archiv/fr/2008/2008-05/2008-05-089.pdf

[4]
                        http://www.drgay.ch/fr/ta-sante/undetectable

[5]
                        http://www.who.int/topics/sexual_health/fr/

[6]           blues-out.ch

Article initialement publié dans le journal de Première ligne, association genevoise de réduction des risques liés aux drogues